Interview avec Élise Baudouin sur son film documentaire Claude Lelouch, la vie en mieux

Elise Baudouin FR Claude Lelouch la vie en mieux
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Élise Baudouin est réalisatrice de documentaires et chroniqueuse. Elle a réalisé le film documentaire Claude Lelouch, la vie en mieux sur le grand cinéaste français Claude Lelouch. On parle avec Élise de son film.

Elise Baudouin FR Claude Lelouch la vie en mieux

Vous êtes journaliste et chroniqueuse réalisatrice du documentaire. Quand est-ce que vous avez su que vous souhaitiez travailler dans le journalisme et surtout le journalisme télévision parce que vous avez fait beaucoup de ça?

Alors ça a été très accidentel pour être honnête. J’ai fait des études d’abord de philosophie et ensuite de sciences politiques. En fin de cursus universitaire, en discutant avec mon directeur de recherche, j’ai réalisé qu’en fait je n’avais pas envie de faire de la recherche mais plutôt du journalisme. Mais le fait de faire de la télé a été complètement accidentel.

 

Quand il a fallu faire un stage à la fin de mes études, je me suis dit que quand je chercherai du travail, toutes les portes vont se fermer parce que c’est difficile de trouver du travail. Mais quand on est étudiant, on peut encore un peu s’amuser. Les stages, ce n’est pas trop difficile à décrocher. Et donc je me suis dit que je pouvais encore un peu m’amuser avant de faire un choix réfléchi pour ma future carrière. Et je me suis dit tiens, c’est marrant, moi la télé je n’en ferai jamais. Je ne la regarde pas. Je ne connais pas. Moi, j’avais envie de faire de la presse écrite ou de la radio. Et en fait, finalement, je me suis dit ben, mon stage de fin d’études, je le ferai dans une télé, comme ça au moins j’aurai vu ce que c’est avant de faire un choix. Voilà et au final, j’ai été embauché à la fin de mon stage.

 

Et en fait, ça a été la découverte de la puissance du récit, notamment de ce qu’on peut faire quand il y a et le son, et l’image. Alors c’est rigolo que vous me posiez cette question parce que j’ai rencontré un monsieur qui s’appelle Michaël Guedj, qui était à peine plus âgé que moi mais qui était mon chef dans cette dans ce premier job. Et figurez-vous que maintenant, après ça doit faire plus de 17 ans, il se trouve que c’est lui mon producteur pour le film sur Lelouch ! On a travaillé ensemble, puis après on est allez travailler ailleurs et on est retombé sur nos pattes il n’y a pas longtemps. Et donc c’est lui qui m’a qui m’a proposé de faire ce film sur Claude Lelouch.

 

Justement, j’allais demander pourquoi vous avez décidé de faire ce film? Et est-ce que c’était en entendant que Lelouch faisait son film Finalement ? Donc en fait c’était l’idée de Michaël ?

Alors non, le point de départ en fait c’est mon co-auteur. Moi j’ai réalisé ce film, mais pour le fabriquer, j’ai été en duo avec Stéphane Boudsocq, qui est journaliste cinéma pour une radio qui s’appelle RTL en France. Et Stéphane, lui donc, il est spécialisé dans le cinéma. À l’époque, je ne le connaissais pas encore, mais lui, il connaissait Claude Lelouch depuis une vingtaine d’années. Et il y a une relation de respect mutuel qui s’était déjà installé entre Claude Lelouch et Stéphane.

 

Quand Stéphane a appris que Claude Lelouch était sur le point de commencer le tournage de ce qui pourrait être son dernier film. Parce qu’il s’appelait Finalement, on disait que ça serait probablement son dernier film. Il a commencé à se dire que ça serait un bon point de départ pour un documentaire autour de ça. Mais en tout cas, il y avait une occasion à saisir parce que le tournage démarrait. Stéphane en a parlé à Michaël. Et Michaël s’est dit « Mais tu as raison, envoyant une caméra filmer les coulisses du film, on réfléchira plus tard à ce qu’on en fait. » Il fallait décider vite, parce que le tournage commençait.

 

Donc Michaël et Stéphane ont commencé comme ça, un peu à blanc, sans idée précise, mais ils se sont dit bon ben là, on a un accès, Lelouch est d’accord pour qu’on soit là quelques jours pendant le tournage. C’est quand même un réalisateur mythique. C’est peut-être son dernier film. Avec Lelouch, il faut toujours se méfier parce que là, il est en train d’en commencer un autre. Je pense vraiment Lelouch, il tournera jusqu’à son dernier souffle. Il adore ça. Donc voilà.

 

Mais à l’époque on se disait mince, ce sera peut-être son dernier film. Et donc une fois qu’ils avaient fait ça, c’était juste un point de départ et ensuite ils ont pris contact avec moi, je connaissais déjà Michaël, pour qu’on voit ensemble ce qu’on pouvait faire à partir de ça.

 

Et très rapidement est apparu l’envie et l’idée de se servir du film comme point de départ, mais de surtout s’en servir pour raconter le parcours et la trajectoire de Claude Lelouch, qui est l’un des cinéastes français les plus connus au monde. C’est quelqu’un qui a eu des Oscars, des Golden Globes, des récompenses, qui a une carrière folle. C’est 60 ans de de cinéma, il a fait plus de 51 films. Et en tout cas ici en France, dans le monde du septième art, même ceux qui ne connaissent pas son cinéma, même la jeune génération connaît ce nom parce que c’est un nom quasi patrimonial. Ça fait partie du patrimoine du septième art. Il a inventé trop de choses au cinéma pour passer inaperçu aujourd’hui.

 

Et donc on a eu envie de faire ce film et ça a été un vrai point de départ. Mais ce qui a été déterminant, c’est le fait que Claude Lelouch accepte de nous ouvrir ses archives professionnelles et personnelles. C’est ce qui fait la qualité et je pense l’intérêt du film. Alors j’avoue que, à titre personnel, ça a été assez fou parce qu’avec Stéphane, on a passé des jours et des jours dans la maison de production de Claude Lelouch, dont ses 60 ans de cinéma. Donc c’est vraiment une carrière. Et les murs de sa maison de production sont tapissés de cartons, de dossiers, de boîtes à chaussures qui renferme les trésors de ses tournages. Alors on a passé des jours et des jours à ouvrir ces boîtes. Dedans, vous avez des documents administratifs, etcetera et des scénarios annotés. Et vous avez beaucoup de photos de plateau de tournage. Vous avez eu des planches contact. Vous avez parfois des bobines. On a retrouvé des bobines, parfois de 8mm et de 35 mm. Il ne savait même plus ce qu’il y avait dessus. Et c’est comme ça qu’on a remis la main sur ces tout premiers essais caméra de son tout premier.

 

Ce qu’on voit tout au début du film.

Exactement. Et ça, Claude ne savait même plus que ça existait. J’ai trouvé cette bobine, on l’a fait numériser, Il ne savait absolument pas ce qu’il y avait dessus. Donc ça a été une espèce d’archéologie qu’on a fait à l’intérieur de ces archives. Moi, à titre personnel, j’ai eu l’impression d’avoir accès à une sorte de trésor parce qu’encore une fois, Claude Lelouch, il a tourné avec les plus grands acteurs français. Il a tourné avec Belmondo, avec Girardot, avec Catherine Deneuve, avec Jean Dujardin.

 

Avec tout le monde.

Tout le monde. Béatrice Dalle. Tout le monde. Et en plus, tout le monde a adoré tourner avec ce cinéaste parce que et adore encore d’ailleurs, tous les acteurs disent la même chose : c’est une expérience unique parce que personne ne dirige un acteur comme lui. Il a cet art de nous mettre en insécurité, de ne pas tout nous dire pour qu’on soit plus spontané et qu’on soit plus vivant qu’en train de jouer. C’est rigolo de voir que Kad Merad aujourd’hui dit la même chose que Annie Girardot il y a 25 ans,

 

Son style de diriger les acteurs n’a pas changé.

Exactement. Et à quel point c’est une expérience exceptionnelle en tant qu’acteur. Voilà, donc c’était assez fantastique de pouvoir avoir accès à ces archives. Je pense qu’en réalité, le véritable cadeau que Claude nous a fait – il y a cet accès à ses archives, évidemment – mais il y a surtout le fait qu’il nous a laissé en faire absolument ce qu’on voulait. Ça, j’avoue qu’il a accepté de nous laisser cet accès et de nous laisser le raconter, lui, à notre façon, avec notre regard, selon nos règles du jeu.

 

Et je mesure ce que ça a pu être pour lui parce que c’est quand même lui qui décide d’habitude de comment on raconte l’histoire. Et là, il a fallu qu’il se laisse faire ; il a fallu qu’il nous laisse le raconter comme on voulait. Et il s’est prêté à ce jeu-là de l’introspection et il l’a fait, je trouve, avec beaucoup d’élégance et surtout l’élégance de nous laisser libre jusqu’au bout. Et en tant que réalisatrice, j’ai trouvé ça extrêmement agréable et de la part de quelqu’un qui a l’habitude de raconter les autres, là, d’accepter qu’on le raconte, nous, dans les endroits qui ne sont pas forcément plus facile pour lui.

 

Il y a toute une partie sur son cinéma et là, évidemment voilà, c’est son sujet. Après, il y a des parties sur l’enfance qui sont plus complexes et douloureuses et en même temps solaire. Mais voilà, Claude Lelouch c’est quelqu’un qui a vécu la guerre en tant que petit enfant juif, donc il y a quelque chose de lourd. Et il a aussi accepté qu’on le raconte à travers des relations plus compliquées qu’il a avec les femmes et avec ses enfants. Et j’ai trouvé que c’était très courageux d’accepter de laisser un peu tomber une forme de pudeur pour essayer de faire cet exercice d’un récit de soi qui soit honnête et qui soit vraiment abouti et qui s’échappe un peu du storytelling surtout parce qu’il y a cet enjeu toujours avec les gens qui savent raconter des histoires.

 

Oui, justement, en regardant le film parce que c’est lui qui parle, c’est lui le narrateur. On ne vous entend pas poser les questions et que lui il répond. C’est vraiment comme si lui il découvre. Il fait un petit peu la rétrospective lui-même.

Alors oui, la façon dont on a travaillé, elle a été assez spécifique, c’est que dans un premier temps, j’ai visionné avec Stéphane des heures et des heures et des heures de rushes d’archives. J’ai vu toutes les interviews qu’il a pu donner dans sa vie. C’est évidemment toute sa filmographie, des images de making of, parce que ça aussi, le travail de recherche dans ces archives nous a permis de mettre la main sur des making of dont plein d’images n’avaient jamais été exploitées. C’est comme ça qu’on a trouvé 15 DVD qui est la totalité du tournage d’Itinéraire d’un enfant gâté, qui est un des films cultes de Claude. Il y a des heures et des heures et des heures et des heures et des heures de rushes du tournage qui a été une vraie récréation. C’est assez génial de dérusher ça. Dans un premier temps, il y a eu un énorme travail de recherche documentaire et de décision de dans quel ordre on allait raconter la vie de cet homme.

Ensuite, on a décidé de l’interviewer en sachant qu’on n’exploiterait que le son, parce qu’on voulait justement qu’il soit le narrateur de cette histoire, mais qu’il accepte de se livrer et que nous, on mette en images ce témoignage. Mais évidemment, moi j’avais déjà fait un énorme travail de sélection et donc il est arrivé au cours de l’interview qu’on lui montre des images et qu’il réagisse. C’est comme ça qu’il redécouvre d’ailleurs les essais. On lui remontre certains extraits de films, certains passages de making of pour que d’abord pour qu’il se souvienne Parce que Claude Lelouch, c’est une carrière extrêmement foisonnante, il fallait parfois réanimer, le replonger dans les époques. Et je pense que ça a été aussi pour lui une sorte de voyage dans sa propre vie, parce qu’on lui a demandé de se souvenir de choses qu’il avait totalement oubliées, de se confronter à des images qu’il n’avait parfois jamais vues. Donc c’est comme ça qu’on a construit le documentaire. Il en a été le narrateur, mais il a livré son témoignage. Et puis nous, on en a fait ce film que vous avez vu.

 

Oui, et c’est un beau film. Sur une carrière tellement longue et sur les archives bien remplies, comment avez-vous choisi les films dont vous allez lui parler et nous montrer ?

Alors on a essayé à la fois de permettre aux téléspectateurs de revoir les extraits des films les plus emblématiques. Si on parle de son parcours de cinéaste Claude Lelouch, c’est impossible de ne pas parler d’Un homme et une femme avec lequel il a eu deux Oscars.

 

Celui qui a changé tout en fait.

Qui a changé toute sa trajectoire. Parce que grâce à ce film, il a eu de l’argent et grâce à ce film, il a pu se produire lui-même avec son propre argent. Donc ça a été déterminant. C’est impossible de ne pas parler de L’itinéraire d’un enfant gâté qu’il a fait dans les années 80, qui est un film d’abord, qui lui a fait à lui énormément de bien, à un moment qui était plutôt difficile dans sa carrière et qui est encore pour tout un tas de générations, un film parfaitement culte. Là je vous cite que ces deux-là, mais il y en a plein d’autres. Mais en tout cas, il y a aussi des films dont on a mis des extraits, parce qu’ils étaient emblématiques aussi de sa façon de travailler avec les comédiens. C’était important pour nous d’aborder la méthode avec laquelle il travaille, cette façon qu’il a de ne pas tout dire, de ne pas raconter aux comédiens la fin du film ou ce qui va arriver à leurs personnages.

 

C’etait fou pour moi d »apprendre ça.

Oui, il a une façon de travailler comme ça. Il dit voilà, dans la vie, on ne sait pas comment ça va se terminer, on ne sait pas ce qui va nous arriver. Donc, dans le cinéma, il dit « J’espère que j’ai été le cinéaste de la spontanéité ». Moi, c’est ce qu’il y a à titre personnel, encore plus que son cinéma. c’est ce qui m’a intéressé et fasciné chez lui c’est cette façon qu’il a eu quasiment viscéral de mélanger totalement la vie et le cinéma. C’est à dire qu’il mélange tout ce qu’il vit dans la vie, il va le recycler au cinéma. C’est presque comme si toute expérience vécue pour lui n’avait de sens que si derrière il peut l’exploiter d’un point de vue cinématographique.

 

Mais ça revêt une dimension qui est assez folle parce qu’il fait tourner ses femmes dans ses films, ses enfants. C’est avec un film qui va dire à une femme qu’il l’aime, c’est avec un film qui va dire qu’il la quitte, C’est avec un film qu’il cherche à dire à ses enfants qui il est et pourquoi Il a été le père un peu boiteux, comme il dit qu’il a été, dont il a conscience qu’il a été avec ses enfants, C’est avec un film qui va leur dire pardon, et pour lui c’est la même chose, il mélange tout.

 

Et moi j’ai été très touché parce que, évidemment, quand vous regardez toute la vie de quelqu’un en images…Il se trouve qu’en plus que son père adorait les images, il a acheté une caméra très tôt. On a des vidéos de Claude Lelouch, bébé, enfant, tout petit. Donc ça, pour quelqu’un de sa génération – il est né en 1976 – c’est extrêmement rare. Donc ça c’est fou.

 

Et le fait d’écouter toutes les interviews qu’il a pu donner dans sa vie, ça m’a mis dans une position un peu particulière qui est que vous finissez par connaître la personne, non pas de façon intime, ce serait prétentieux de dire ça. Claude Lelouch c’était mon sujet de recherche. Je ne suis pas intime de Claude Lelouch. En revanche, je suis désormais intime avec le discours qu’il a pu avoir toute sa vie et tout au long de sa vie, sur son travail et sur lui-même. Vous finissez par vraiment pouvoir finir les phrases de quelqu’un parce que vous avez tout entendu. Vous connaissez toutes ses façons de parler.

 

Ses manières

Les manières, il y a la forme. Mais vous savez que sur tel film, il aime bien raconter telle anecdote, que là il va vous dire que ça lui a apporté. Vous avez beaucoup, beaucoup d’informations, et ça crée une situation aussi où vous ne pouvez pas vous empêcher d’avoir une approche psychologique de la personne.

 

Je vous parle de ça pour une raison qui est que moi, quand j’ai commencé à travailler sur l’enfance de Claude, j’ai réalisé combien, à mon avis, au niveau du cinéma, tout s’est noué à ce moment-là. Parce que Claude Lelouch, il est caché dans les salles, c’est un petit enfant juif. Pendant la guerre, il est en zone occupée. Sa mère le cache dans les salles de cinéma. C’est là qu’il est en sécurité. C’est sa rencontre avec le cinéma qui est déterminante. Mais c’est aussi une période où le monde de la réalité et de la fiction se mélangent. Pour lui, c’est un moment où pour le protéger de lui-même et de sa judaïté, on lui apprend à devenir un peu antisémite. Pour qu’il soit crédible.

 

Je n’imaginais même pas.

Oui, c’est à dire qu’il a cinq ans, il sait très bien qu’il est juif, mais on lui dit non, on lui fait –

 

Il doit faire comme s’il l’était pas.

Et surtout comme si c’était une identité que c’était les méchants. Donc il est dans une confusion totale. Donc lui, il ne le dit pas aussi clairement, mais moi, en l’interviewant, je me suis dit tiens, à ce moment-là de sa vie, la frontière commence à être totalement poreuse entre ce qui est vrai ou pas vrai. En fait je suis juif et les gens qui m’aiment me disent que en fait, juif ce n’est pas bien, donc il ne comprend plus rien. Il y a cet aspect là où il y a une confusion très claire.

 

Donc je pense que ce n’est pas anodin dans son rapport à la fiction et à ce que c’est que mentir, parce que quelque part, il y a cette question qui se pose au cinéma du bon mensonge. On va vous raconter cette histoire. Et alors je dis aussi mentir pour une raison simple, c’est que Claude Lelouch est quelqu’un qui a été sauvé par le mensonge dans son enfance. Il y a cette scène qu’il a mis dans un de ses films, dans le film qui s’appelle Les uns les autres, qu’il a même fait jouer à son propre fils : à un moment où Claude Lelouch était dans une école cachée dans une école catholique et des Allemands sont entrés, ont demandé à tous les petits garçons de baisser leur pantalon et la maîtresse l’a sauvé en disant « Ah non mais lui, c’est parce qu’il faisait pipi de travers, et il est catholique. » « Vas y! Claude récite cette prière. » Elle lui avait appris une semaine avant.

 

Claude Lelouch, le jour de notre interview, à 86 ans, il nous a récité cette prière qui n’est pas de sa confession. Il la connaît encore aujourd’hui. Donc c’est un petit garçon pour qui ça détermine tout. Parce que Claude Lelouch, à partir du moment où la guerre s’arrête, il me dit « Moi, à partir de la libération, c’est le plus beau jour de ma vie. Et à partir de là, j’ai tellement eu conscience qu’on avait failli mourir que tout le reste de ma vie, ça a été du bonus. C’est les prolongations et j’ai eu un appétit de vivre qui a été décuplé par la conscience que j’avais eue, qu’on était passé très près des camps de concentration en fait. » Donc il y a cet aspect des choses et ce truc du mensonge de tiens, les histoires, ça sauve. Et raconter des histoires, comme il le dit dans les histoires, les héros, ils sont mieux que nous, ils sont plus beaux que nous, ils sont plus courageux. Et c’est avec ces gens-là que j’ai envie d’être. Donc je trouve que plus son cinéma et son rapport au cinéma raconte l’histoire d’un homme qui toute sa vie – et ça m’a sauté aux yeux en travaillant sur son parcours – il a essayé de gommer cette frontière qui peut exister entre la réalité et la fiction dans ses films et parfois même dans sa façon de se raconter. J’ai été très touché que dans le film, il dit oui, « parfois j’en rajoute un peu, je ne peux pas m’en empêcher ».

 

Je trouve que c’est un contrat très sincère avec le téléspectateur et j’ai adoré que cette mise en récit à la première personne soit comme ça, teintée de ce genre de saillie très honnête qui permettent de vraiment bien comprendre ce bonhomme là en fait.

 

Dans Claude Lelouch, la vie en mieux Claude Lelouch dit que le cinéma est l’inventeur de l’immortalité? Est-ce que vous pensez qu’en faisant ce film sur lui que vous le rendrait immortel?

En fait, je pense qu’il a raison de dire ça parce que du coup, ça existe pour toujours quelque part. En fait, je me sentirais prétentieuse de dire que le documentaire que j’ai fait avec Stéphane ait cette puissance-là. Mais ce qui est vrai, c’est que je suis très heureuse – d’abord, j’ai pris énormément de plaisir à faire ce film premièrement – mais je suis très heureuse d’avoir abouti à un niveau de qualité. Je suis fière du travail abouti qu’on a fait s’agissant de raconter la vie de quelqu’un qui en est là, c’est à dire qu’il en est à ce moment où on commence à regarder en arrière aujourd’hui, alors qu’à l’époque il avait 86 ans, mais aujourd’hui il a 88 ans. Peut-être que Claude vivra encore 25 ans, je n’en sais rien. Ce qui est sûr, c’est qu’il était dans ce moment où on ne peut pas s’empêcher de faire un petit bilan. Et j’ai trouvé ça chouette de pouvoir le faire ensemble en fait, et que, à l’arrivée, il y a un témoignage comme ça, d’une vraie tranche de vie, d’une tranche d’humanité, parce qu’en plus c’est quelqu’un qui a vécu des choses folles, mais qui parcourt l’histoire de la France, qui parcourt l’histoire du septième art. Je serai ravi que ce film permette de faire connaître cet homme encore très longtemps. Et on sait que ce genre de films, ils peuvent être rediffusés, etcetera.

 

Et oui, je suis très contente que ce film existe et qu’il soit aussi complet. Et ça c’était difficile. C’est d’ailleurs assez marrant parce qu’à l’origine, on avait proposé ce film à France Télévisions et on s’était mis d’accord avec eux pour un film de 52 minutes, le film classique qui passe en deuxième partie de soirée sur la télé française. Et en fait, quand on a commencé à montrer ce qu’on avait monté, on a montré aux diffuseurs les 40 premières minutes et là, ils nous ont dit « ah non mais là ce n’est pas possible, il faut que vous fassiez un film plus long, c’est trop riche, c’est génial.» Et au final, Ils nous ont demandé de faire 70 minutes et que ce film passe en première partie de soirée. Ça vient du fait qu’il a vraiment fait ce travail de se raconter et de donner accès à ces petits trésors, à ces photos de famille, à ces photos personnelles. J’ai été très reconnaissant aussi que France Télévisions sache mettre en valeur un document de cette qualité. Quand je dis de cette qualité, ce n’est pas tant pour parler de mon travail, mais c’est plutôt pour parler de la richesse du contenu. C’est rare en fait d’avoir un film où il y a autant d’archives puissantes comme ça, de voir sur l’enfance et d’avoir autant d’extraits de films aussi.

 

Ça permet aussi de revisiter. Je pense qu’il y a plein d’adultes, des gens qui ont la cinquantaine aujourd’hui, qui vont revoir tout un cinéma de leur jeunesse, qui peut être un moment sympa aussi pour se rappeler de tous ces films.

 

Oui, Claude Lelouch, la vie en mieux est en sorte une rétrospective sur ces films ainsi que sur sa vie.

Comme ça, comme tout se mélange avec sa vie. En tout cas, je ne sais pas si notre documentaire le rendra immortel. En tout cas de toute façon, son œuvre à lui le rend immortel. Alors nous on aura raconté l’homme qu’il y a derrière le cinéaste. Je crois que ça, c’était ce qui était peut-être un peu moins connu. Le cinéaste était connu, l’homme était peut-être moins connu.

 

Claude Lelouch avait dit dans votre film que c’est toujours lui qui regarde ses films en premier et qu’à chaque fois il apprend des choses sur lui en les regardant. Est-ce que vous avez appris des choses sur vous en faisant ce film ou en regardant le film ?

C’est marrant ! Tout à fait, mais c’est vrai que on me pose rarement des questions sur moi quand je parle de ce film, parce qu’évidemment, on parle beaucoup de Claude, alors je ne me suis jamais posée cette question. Je me suis rendu compte que les archives, c’était une matière extrêmement précieuse. Aujourd’hui, vous voyez, dans les fameuses boîtes qu’on a ouvertes, il y en avait une centaine, il y avait tout. Au fur et à mesure, c’était de plus en plus dématérialisés, évidemment. Au début, les films des années 60, il y a au moins six boîtes par film, puis petit à petit, il y a de moins en moins, puis à l’arrivée, il y a une boîte avec un disque dur dedans. Moi, avec Claude, on a pu toucher des photos, des planches contact.

 

Si j’ai appris un truc sur moi, c’est que en fait, j’aime raconter le passé avec le regard du présent. J’aime énormément ça. Voilà, c’est ça dont je me suis rendu compte qu’en tout cas, c’est grâce à ces archives qu’on peut raconter quelqu’un et qu’on peut essayer de fabriquer le regard qu’on peut finalement avoir sur cette personne. Je me suis senti très privilégié, honnêtement.

Nous remercions Elise Baudouin pour cette interview.

Vous pouvez voir son film Claude Lelouch, la vie en mieux au festival JIFF à Perth le 11 décembre 2025.

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Matilda Marseillaise

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