Kata, un spectacle de danse break et des arts martiaux sera présenté au festival OzAsia à Adélaïde ce mois-ci.
On a parlé avec Anne Nguyen, créatrice et chorégraphe du spectacle.
Vous venez en Australie avec votre spectacle Kata. Parlez-nous de ce spectacle ?
Dans Kata, huit breakeurs exécutent des enchaînements aux allures martiales qui se transforment en de véritables combats dansés. Chaque mouvement de break prend un sens nouveau, transformant les danseurs en de véritables samouraïs modernes, qui incarnent une forme de spiritualité. Paradoxalement, les luttes dans lesquelles ils s’engagent se révèlent de plus en plus illusoires, faisant d’eux les derniers représentants d’un idéal guerrier absurde dans notre monde actuel.
Kata est un mot japonais qui veut dire forme et « Les enchaînements de mouvements ». Parlez-nous de comment ce concept a guidé ce spectacle.
Mon maître de capoeira m’a un jour demandé de choisir entre la capoeira et le break : j’improvisais en ajoutant des formes inutiles ou faibles dans mon jeu lors des combats. Le besoin de transgresser les règles et d’aller au-delà du mouvement efficace et utile m’a naturellement poussée vers la danse. Avec Kata, je souhaite tracer le chemin inverse : partir d’une danse faite de mouvements apparemment « inutiles », le break, et trouver à chaque geste une utilité, comme si tout enchaînement de break n’était qu’un « kata » d’entraînement au combat. Dans Kata, je décompose les mouvements centrifuges du break en des séquences de gestes isolés, et les associe à des principes « utiles » dans le sens du combat et du rapport à l’autre. Les huit breakeurs, individuellement ou au sein de formations parfaitement ordonnées, exécutent des suites de mouvements dansés adressés à des adversaires imaginaires, ou encore se font face dans des combat dansés. Attaques, blocages, esquives, des scènes de combat complexes et intriquées se dessinent au gré du flux et du reflux des « combattants » sur scène, mettant en forme l’énergie guerrière du break.
D’où est venu votre intérêt dans le b-boy, capoeira, gymnastiques et jiu jitsu ? Et depuis quand ?
Quand j‘étais enfant, j’étais plutôt un « tom boy », je préférais jouer au foot avec les garçons plutôt que de danser. J’ai toujours été attirée par les arts martiaux, les acrobaties… La danse est venue tardivement pour moi, et c’est par le break que j’ai découvert le plaisir du clubbing, du partage avec les autres danseurs, de l’échange avec les autres à l’entraînement ou en battle, qui sont propres à cette culture et si enrichissants.
Vous avez dit que vous trouvez que le break c’est comme les arts martiaux. Décrivez-nous plus cette idée?
J’ai beaucoup pratiqué les arts martiaux, en particulier la capoeira et le jiu-jitsu brésilien, mais aussi le Viet Vo Dao et le Wing Chun. L’une des caractéristiques de ces pratiques est le rapport au partenaire, qui implique un contact physique. Or, si le contact avec le sol est un des principes essentiels du break, le contact avec l’autre est peu exploité par les danseurs hip-hop, qui commencent par faire le vide autour d’eux avant de danser dans leur « cercle vital ». Le contact avec le sol, le rapport à la Terre, est l’un des éléments qui ont motivé ma pratique du break. Néanmoins, le contact et le rapport avec un partenaire m’ont beaucoup manqué lorsque j’ai choisi d’arrêter les arts martiaux pour me consacrer à la danse. C’est pourquoi j’en fais l’une de mes lignes de recherche principales en tant que chorégraphe. J’ai élaboré des exercices techniques visant à amener le contact dans le mouvement dansé, inspirés des arts martiaux et de principes mécaniques. J’amène bras, jambes et corps à se rapprocher et à se rencontrer de manière dynamique et circulaire dans des espaces réduits. C’est en passant par ce processus que je crée des combinaisons de mouvement à plusieurs danseurs.
Vous avez une troupe de danseurs multiculturels. D’où viennent-ils et comment est-ce que vous les avez trouvés?
Je connaissais certains danseurs, comme Valentine Nagata-Ramos par exemple, qui danse déjà dans plusieurs de mes autres spectacles. Valentine et moi étions chacune l’élément féminin de deux groupes de break rivaux dans les années 2000, Phase T pour moi, Fantastik Armada pour elle. Nous avons par la suite beaucoup dansé et travaillé ensemble. J’ai recruté les 7 autres danseurs sur audition, mais je connaissais déjà la plupart d’entre eux car nous fréquentons tous le milieu des battles de break. Tous habitent près de Paris, lieu où siège la compagnie. Certains d’entre eux sont dans les mêmes groupes de break : Total Feeling pour Tonio, Jean-Baptiste et Yanis, Chasseurs de Primes pour Hugo et Fabrice.
Dans le spectacle les danseurs approchent des adversaires imaginaires mais aussi les uns et les autres du groupe dans des scénarios de bataille complexe. Est-il donc un spectacle autour de la guerre, des batailles ou est-il plus général que cela?
Dans Kata, je cherche à sublimer l’esprit martial du break. Cette danse est pour moi un art véritable martial contemporain, elle a été créée par l’être humain pour faire face à un environnement urbain hostile qui le coupe du monde animal et de son rapport à la Terre, et transforme son corps par la violence de ses formes et de ses contraintes. Faute d’ennemis à affronter, faute d’accomplissements physiques à vivre dans le cadre de la vie quotidienne, l’esprit de combativité qui anime le monde du vivant trouve à s’accomplir à travers le break, en réponse à l’oppression que nous fait subir notre environnement. C’est un mouvement spontané de résistance du vivant, une forme de discipline et de rituel, qui permet au danseur de renouer avec des instincts profonds comme ceux de la conquête de puissance physique et de territoire.
Le spectacle Kata c’est pour quel genre de public ?
Kata s’adresse à tous. Petits et grands peuvent se projeter aisément dans l’univers du spectacle. Je vois la danse comme un art universel par excellence. Elle nous rassemble tous, et transcende les cultures pour parler à notre humanité profonde. C’est un mode ancestral de représentation de l’abstraction, de la conscience.
Avant d’être chorégraphe, étiez-vous danseuse vous-même ? Est-ce que ça vous arrive parfois de danser vous-même dans des spectacles ?
Avant de créer ma compagnie, j’ai dansé avec des groupes de break légendaires comme RedMask à Montréal ou encore Phase T, Def Dogz et Créteil Style en France. Avec eux mais surtout en solo, j’ai participé à des centaines de battles, remporté l’IBE 2004, le BOTY 2005, j’ai jugé le BOTY 2006 ou encore le Red Bull BC One en 2007. Le film documentaire Planet B-Boy (2007) témoigne de cette époque où je conciliais les nombreux battles avec le développement de ma propre compagnie et ma carrière d’interprète pour des compagnies contemporaines et hip-hop, comme les célèbres Black Blanc Beur.
Je danse dans quelques-uns de mes spectacles : Racine Carrée, Yonder Woman, Autarcie (….), et plus récemment dans Axis Mundi, une commande du Festival d’Avignon et de la SACD : il s’agit d’un duo que j’ai co-créé en juillet 2019 avec la marionnettiste et plasticienne Elise Vigneron.
Vous avez toujours voulu travailler dans la danse?
Très jeune, j’ai pratiqué la gymnastique en compétition puis je me suis initiée à de nombreux arts martiaux comme le Viet Vo Dao, la capoeira et le jiu-jitsu brésilien. Fascinée par la science, je me destinais à une carrière dans le domaine de la physique, mais j’ai abandonné cette perspective quand j’ai découvert le monde du break et de la danse en général, dont les valeurs reflètent mon désir d’émancipation.
D’où trouvez-vous l’inspiration pour vos spectacles?
Racine Carrée, Yonder Woman, PROMENADE OBLIGATOIRE, bal.exe, Autarcie (….), Kata… Les titres de mes spectacles évoquent mes multiples influences : les mathématiques et les arts martiaux mais aussi les utopies et les mythes. J’ai aussi étudié dans les domaines de la physique, de la linguistique et de la littérature. Je m’intéresse au geste comme symbole, au corps comme objet de revendication, au mouvement comme besoin primaire, à la scène comme lieu de partage privilégié. Je construis des espaces symboliques où la danse, puissante, libératrice et frénétique, devient un rituel magique destiné à nous faire réinvestir le présent.
Dans mes spectacles, la danse elle-même est le propos. Je ne dissocie pas l’excellence technique de l’expression corporelle, de l’intention qui sera véhiculée par le danseur. Lorsque les corps existent autrement, de nouvelles ouvertures s’offrent au mouvement : nouvelles directions, nouveaux rythmes, nouvelles manières de construire, nouvelles manières de projeter l’énergie… Les paramètres qui m’intéressent pour créer une situation riche de sens sont très concrets. Pour moi, tout émane de l’essence du geste, de la posture du corps, de son positionnement dans l’espace et de son rapport à l’autre. Et la danse hip-hop est un véritable vivier de postures, de principes et d’énergies débordant de sens. Tout en étant très attachée à l’excellence de l’exécution, je refuse toute forme d’”académisme” de la danse : j’aime développer et mettre en valeur les individualités et les spécificités de chaque danseur. Ma recherche consiste à tisser des liens entre les mouvements et les espaces habités par les corps, à travers des contraintes techniques ou par le jeu.
Vous êtes franco-vietnamienne. Avez-vous passé du temps dans les deux pays ?
Je suis née en France et j’y vis depuis toujours. J’ai étudié pendant un an à Mc Gill University, à Montréal. Je allée au Vietnam pour la première fois à l’occasion de la tournée en Asie du Sud-Est du spectacle Autarcie (….) en 2016. J’ai le plaisir d’y retourner en novembre 2019 pour y accompagner Danse des guerriers de la ville, mon parcours d’installations interactives, participatives et immersives autour de la danse hip-hop. J’y resterai ensuite quelque temps pour profiter du pays.
Est-ce que lorsque vous venez en Australie pour le festival OzAsia, ça serait votre première fois en Australie?
Je suis déjà venue en Australie deux fois en 2014, pour conseiller mon ami chorégraphe Nick Power sur sa création Cypher. A cette occasion j’ai pu également donner des masterclass, notamment au Dancehouse de Melbourne et faire la connaissance de danseurs australiens. Cela a été une expérience très enrichissante, j’ai d’ailleurs gardé contact avec certains d’entre eux.
Malheureusement je ne pourrai pas accompagner les danseurs de Kata au Festival OzAsia car les représentations tombent en même temps que les premières de mon nouveau spectacle À mon bel amour en France. Je le regrette beaucoup car j’aime beaucoup l’Australie, son multiculturalisme et sa nature foisonnante et monumentale. J’espère revenir bientôt!
D’autres choses à ajouter?
Je suis très heureuse que Kata soit présenté en Australie, et honorée de la confiance du Festival OzAsia et de Joseph Mitchell avec qui nous avons eu un très bon feeling. J’espère que nous aurons à nouveau l’occasion de présenter un spectacle à Adélaïde pour que je puisse venir découvrir le festival et rencontrer le public !
INFOS ET BILLETS
Vous pouvez voir le spectacle Kata d’Anne Nguyen au OzAsia Festival aux dates et horaires ci-dessous.
- 11h 17 octobre
- 19h30 17 octobre
- 19h30 18 octobre.
Les billets coûtent $45.
Les billets sont disponibles par ce lien: https://www.ozasiafestival.com.au/events/kata/
Vous pouvez aussi participer dans un cours de maître de hip hop de Paris qui sera mené par Valentine Ramos-Nagata du même spectacle.
Si vous vous intéressez au festival OzAsia, ces articles sont aussi pour vous:
Interview avec Hadi Zeidan au sujet de ces deux spectacles
Interview avec Valentine Nagata-Ramos aussi du spectacle Kata
Interview avec Aurelie Lannoy du spectacle LIES
Aimez vous la danse break?