Connaissez vous John Russell: peintre impressionniste australien?

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Lorsqu’Adélaïde se préparait à dire son au revoir à l’exposition Colours of Impressionism: Masterpieces from the Musée D’Orsay, une autre exposition d’art impressionniste ouvrait en Australie. Mais celle-ci a une grande différence : son sujet est John Russell, peintre impressionniste australien qui a vécu et étudié l’art en France parmi d’autres élèves comme Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh.

 

J’ai parlé avec Wayne Tunnicliffe, commissaire d’exposition à l’Art Gallery of New South Wales.

 

Peut-être serait-il mieux de commencer par comment un peintre australien a atterri en France?

Je pense que c’est une bonne question. Je pense que John Russell voulait être peintre or à Sydney dans les années 1870 et 1880, il n’y avait pas d’école d’art. Donc il est allé à Londres d’abord mais à cette époque les étudiants les plus ambitieux allaient en France. C’était le centre de la culture européenne de l’époque. Donc il y est allé tout de suite. Mais ce qui était unique chez Russell c’est que si les autres élèves allaient dans de grandes écoles d’art, lui est arrivé dans un petit studio avec un groupe d’autres élèves incroyables. Et je ne pense pas que c’était pas hasard. Il aurait dû découvrir ce studio. Il avait dû se renseigner pour y aller.

 

Et il s’agit de l’école de Fernand Cormon?

Oui, l’Atélier Cormon, qui ne comptait qu’environ 35 élevés, tous français.

 

John Russell
‘The terraces of Monte Cassino’ c1889
oil on canvas
65 x 81 cm
Private collection, courtesy of Nevill Keating Pictures, London, on loan to the National Gallery, London
« John Russell, Australia’s French impressionist » exhibition. On display 21st July – 11 Nov 2018, at the Art Gallery of New South Wales.

 

Est-ce qu’on sait s’il parlait le français avant d’y aller ou s’il l’a assimilé là-bas?

Je pense que oui. Je pense qu’il a dû apprendre le français au lycée sans doute. Il parait qu’il parlait le français lorsqu’il était en France. Et je pense que le français faisait partie de l’éducation de l’époque. Je suis sûr que son français s’est beaucoup amélioré lorsqu’il était en France.

 

Oui. C’est une façon de se forcer d’apprendre. Immergez-vous dans le pays et la langue et soit vous vous noyez soit vous nagez!

Oui, c’est exactement ça. Donc à l’Atélier Cormon, Toulouse-Lautrec fût le meilleur élève et puis après avoir été là quelques années, Vincent Van Gogh est apparu.

 

Quels personnages incroyables à avoir comme compagnie!

Oui, absolument et ils étaient, bien sûr, tous des élevés inconnus à l’époque. Et Van Gogh était difficile. Russell voyait en lui du talent et même s’il était étranger, Russell discutait avec lui, ce qui est remarquable aussi. Vincent avait d’autres amis bien sûr mais c’était un personnage difficile. Malgré ça, Russell reconnaissait son talent, soit disant.

 

Est-il vrai qu’il a enseigné l’impressionnisme à Matisse?

Oui ça semble être le cas. Russell démangeait de Paris à Belle-Île le au large des côtes de Bretagne. Matisse y est allé pendant trois étés et a rencontré Russell, certainement à la fin du deuxième été. Il a appris la théorie impressionniste de la couleur de Russell et a sans doute vu l’art de Russell qui fut assez post-impressionniste à cette période. Un style pictural très vif et lumineux. Matisse fut le peintre des œuvres très grises avant qu’il ne commence à explorer la couleur. Il s’est laissé allé dans ses méthodes. Russell a certainement introduit Matisse aux travaux de Van Gogh. On sait qu’il a donné à Matisse un de ces 12 dessins par Van Gogh.

John Russell
‘Cliff at Clos Marion, Belle-Île’ c1890
oil on canvas
64 x 81 cm
Private collection, Sydney
Photo: AGNSW, Jenni Carter
« John Russell, Australia’s French impressionist » exhibition.
On display 21st July – 11 Nov 2018, at the Art Gallery of New South Wales. This image may not be cropped or overwritten.

 

J’ai lu aussi – mais je n’en suis pas sûr- que lorsque sa femme est décédée, il a détruit 400 de ses tableaux?

Ah, cela reste non-prouvé. Je pense qu’il s’agit d’une belle histoire qui circule. Après la mort de sa femme, il a vendu la maison et, comme n’importe qui qui déménage, il a certainement rangé sa chambre et il a dû jeter quelques tableaux. Mais pas tous, si vous voyez les tableaux à l’exposition ici, il y en a tellement de tableaux de qualité qui ont survécu, et donc,  à mon avis, il s’agit plus d’un processus de tri éliminatoire que d’une véritable élimination.

 

Oui, je n’en étais pas sûr.

[Cette histoire] Cela circule certainement. On me questionne beaucoup là-dessus parce qu’il s’agit d’une histoire tellement dramatique.

 

Certes! Vous perdez votre femme et vous détruisez tout!

Oui! Mais certainement que, lorsqu’il a perdu sa femme, il fut dévasté et ne pouvait plus vivre à Belle-Île sans elle. Ça, c’est vrai, absolument. Mais cette véritable destruction, je n’en trouve aucune preuve. Je voudrais lancer un appel à la prudence.

John Russell
‘Almond tree in blossom’ c1887
oil on gold ground on canvas on plywood
46.2 x 55.1 cm
National Gallery of Victoria, Melbourne. The Joseph Brown Collection. Presented through the NGV Foundation by Dr Joseph Brown AO OBE, Honorary Life Benefactor, 2004 (2004.216)
« John Russell, Australia’s French impressionist » exhibition. On display 21st July – 11 Nov 2018, at the Art Gallery of New South Wales.

 

Beaucoup de peintres – je pense même Van Gogh-  n’ont pas eu beaucoup de succès pendant leur vie. Est-ce que John Russell a connu le succès pendant sa vie?

Il était tenu en haute estime par ses amis. Il a exposé ses œuvres dans les années 1900 mais il n’en avait pas besoin parce qu’il fut un nanti. Il n’a jamais effectué de ventes et je pense que ce n’est pas pour vendre qu’il peignait. Et parmi ce groupe remarquable d’artistes, ses pairs, il parait qu’il a vendu des tableaux pendant sa vie mais que ce ne fut pas sa motivation première.

 

Donc il n’aurait pas été soumis aux mêmes types de critiques que les autres lorsqu’ils soumettaient leurs œuvres au Salon a Paris et que le Salon leur disait «mais c’est ridicule cette façon dont vous utilisez la couleur. Comment est-ce que vous pouvez faire ça, ce n’est pas bon »

Si, au début des années 1900, il a exposé de temps en temps mais à partir de 1902 il soumet son travail, parfois rejeté, mais la plupart du temps accepté. Mais il expose au salon d’art plus avant-garde, comme le Salon d’Automne, le Salon des Indépendants et la Société internationale d’aquarellistes – au lieu d’aller dans des salons d’académie plus conservatifs.

 

Pourquoi est-il encore relativement méconnu à la fois comme artiste australien et à la fois comme impressionniste ? Quand on pense aux impressionnistes, on pense plutôt aux français et on ne parle pas vraiment de lui.

Non, nous ne nous souvenons pas de la plupart des artistes internationaux qui furent en France pendant cette période. Naturellement, les français soutenaient les français. Des américains ont une présence aussi; une poignée sont connus, autrement la plupart des artistes internationaux ont été oubliés en France, à part ceux dont on a prêté des œuvres du Musée d’Orsay pour l’exposition.

 

Russell est en dehors du narratif français et de l’australien – il n’a pas rapporté d’œuvres en Australie, il n’était pas présent en Australie et il ne peint pas de sujets australiens, il était en dehors de tout ça. Ses tableaux ont été dans notre musée depuis les années 1960 et il est connu par des commissaires d’exposition et par des amateurs d’art mais il n’est pas connu par le grand public. On espère changer cela avec cette exposition afin que le public puisse voir son travail les yeux grands ouverts.

 

‘Mrs Russell among the flowers in the garden of Goulphar, Belle-Île’ 1907 oil on canvas 79 x 100 cm Musée d’Orsay, Paris, held by the Musée de Morlaix, bequest of Mme Jouve 1948 “John Russell, Australia’s French impressionist” exhibition. On display 21st July – 11 Nov 2018, at the Art Gallery of New South Wales.

 

Comment fut-il découvert en Australie? Est-ce par un de ses enfants?

Ca fut une question intéressante. C’était par sa cousine Thea Procter, qui a prôné son travail. Il est devenu connu dans la fin des années 1930 grâce à ses connections avec d’autres artistes. Donc on a appris son lien avec Van Gogh et de là, peu à peu, il y a eu découverte au goutte à goutte de ses œuvres qui venaient de sa famille tant en France qu’en Australie. Il y avait eu une exposition solo de son travail à Londres en 1965. C’est à partir de ce moment-là que les choses ont changé.

 

Alors, quand il est rentre en Australie, sa famille n’est pas rentrée avec lui? Il est mort à Sydney, n’est-ce pas?

Oui, il est mort à Sydney en 1930. La plupart de ses enfants sont restés en Europe. Il avait un fils en Nouvelle Zélande et sa deuxième femme est rentrée avec lui. Mais il ne semble pas avoir ramené ses œuvres françaises avec lui en Australie. Elles sont restées dans son studio à Paris.

 

Et c’est pour cela que ses tableaux ont fini par se retrouver dans les musées là-bas.

Oui, c’est ça.

 

 

Quand vous recherchez des autres impressionnistes australiens, vous trouvez John Russell bien sûr, mais vous trouvez aussi d’autres personnes comme Tom Roberts, Arthur…

Arthur Street et Charles Condo. C’est intéressant parce que Russell et Roberts furent des bons amis pendant les années 1880. Ils se sont rencontrés à Londres lorsque Russell étudiait à l’école Slade et Tom Roberts étudiait à la Royal Academy School. Ils ont fait un voyage de peinture en Espagne et lorsque Roberts est rentré en Australie, Russell lui a écrit durant les années suivantes en décrivant ce qu’il voyait et apprenait à Paris.  Donc pendant que Tom Roberts développait l’impressionnisme en Australie, il en apprenait plus sur l’impressionnisme français par Russell.

 

 

Vous avez parlé de lettres. Il semble qu’il a écrit beaucoup de lettres parce que je crois qu’il a eu une correspondance longue avec Rodin aussi.

Oui, il y a plus de 60 lettres entre eux qui ont survécu. Rodin est allé voir Russell à Belle-Île. Et il semble que les Russells ont dîné, déjeuné et côtoyé Rodin quand ils se rendaient à Paris.

 

Toutes les lettres sont-elles exposées à l’exposition?

Elles sont toutes dans le livre. On a publié les lettres survivantes entre Russell et Van Gogh, les lettres de Russell à Roberts – malheureusement les lettres de Roberts à Russell n’ont pas survécu – et nous avons publié une sélection de sa correspondance avec Rodin.

 

John Russell ‘Rough sea, Morestil’ c1900 oil on canvas on hardboard 66 x 81.8 cm Art Gallery of New South Wales, Sydney, purchased 1968 Photo: AGNSW, Jenni Carter “John Russell, Australia’s French impressionist” exhibition. On display 21st July – 11 Nov 2018, at the Art Gallery of New South Wales.

 

Donc tout cela se trouve dans le livre?

Oui, dans le catalogue d’exposition.

 

Quel est votre tableau préféré de l’exposition?

Ouah, j’en ai beaucoup, beaucoup de tableaux sont mes préférés. Mais il est un vrai plaisir de voir le portrait de Van Gogh fait par Russell à côté d’un autoportrait par Van Gogh peint la même année. Et vous pouvez voir les proximités dans leurs pratiques, en utilisant des couleurs très semblables. Donc il y a une vraie proximité entre les deux lorsqu’ils peignent dans un style assez conservatif. Et puis l’année suivante, ils ont tous les deux découvert la couleur et ils partent dans leurs propres directions. Donc il y a un moment de connexion et puis ils trouvent leurs propres voies.

 

 

Le processus de planification a pris combien de temps pour cette exposition?

Environ deux ans et demi.

 

Est-ce une période normale pour la planification d’une exposition internationale majeure?

Oui c’est tout-à-fait normal. Evidemment prêter des œuvres de Rodin et Van Gogh prend du temps. On a aussi fait beaucoup de recherche autour de cette exposition afin de prouver ou de réfuter certaines histoires.

 

Comme celle dont je vous ai parlé!

Oui exactement, c’est un exemple.

 

Quels sont les grands défis dans la création d’une telle exposition dont les œuvres viennent de partout dans le monde? 

Je pense qu’il y a beaucoup de complexité logistique.  Il y a 99 œuvres prêtées dans l’expo et environ 16 issues de notre propre collection. Tout le reste provient de l’Australie et de l’étranger. Donc il y a beaucoup de complexité logistique. Cela coûte aussi très cher de faire voyager des œuvres à l’étranger. L’autre complication est que des œuvres de cette période sont très fragiles et que les couleurs ne sont pas stables dans certains cas parce qu’ils avaient utilisé des peintures chimiques qui ont été fabriquées il y a 130 ou 140 ans et qui ne sont guère résistantes.

 

Alors elles ternissent?

Oui le portrait de Van Gogh fait par Russell a une inscription tout au long de sa partie supérieure où il est inscrit à Van Gogh “en amitié”. Mais maintenant cette inscription est invisible à l’œil nu. Il faut sortir une torche et regarder de tout près ou par x-ray [pour voir l’inscription], le rouge a complètement disparu à l’œil nu. On sait aussi que Van Gogh utilisait un bleu plus brillant qui maintenant est assez sombre en ton. Aussi, il y a un type de jaune que les impressionnistes utilisaient tous qui ne tient pas avec les années. Il commence à s’effondrer et on voit ça dans des œuvres de Russell également, ainsi que celles de Monet et ses contemporains. Je pense que quelques-unes de ces œuvres ne voyageront plus jamais en Australie. Je pense que ça c’est la réalité.

 

 

Oui, et plus tôt cette année vous avez aussi eu l’exposition des tapisseries qui n’ont quitté la France que pour la troisième fois depuis leur découverte.

Oui, elles étaient fabuleuses! Si incroyables. Je les ai vues plusieurs fois au musée à Paris, et donc, de les voir ici c’était une révélation. Mon Dieu! Des unicornes à la gallérie! Et maintenant nous avons des impressionnistes!

 

John Russell
‘In the morning, Alpes Maritimes from Antibes’ 1890-91
oil on canvas
60.3 x 73.2 cm
National Gallery of Australia, Canberra, purchased 1965
« John Russell, Australia’s French impressionist » exhibition.
On display 21st July – 11 Nov 2018, at the Art Gallery of New South Wales.

 

Y a-t-il d’autre choses que vous aimerez ajouter au sujet de l’exposition?

Non, c’est fantastique. Je pense que les amitiés sont remarquables mais le pratique de Russell l’est aussi. Les tableaux de Russell sont remarquables aussi – il fût un coloriste effronté et il a développé ses propres techniques et styles distinctifs. Ses meilleurs œuvres sont vraiment remarquables.

—-

L’exposition John Russell: Australia’s French Impressionist est ouvert à l’Art Gallery of New South Wales désormais jusqu’au 11 novembre.

 

 Les billets sont disponibles à la gallérie directement mais aussi en ligne: https://ticketing.artgallery.nsw.gov.au/EventSeatBlockPrices.aspx

$20 adultes

$18 avec réduction

$16 membres

$48 famille (2 adultes + jusqu’aux 3 enfants)

$8 enfants (5-17 ans)

Gratuit pour les enfants de moins de 5 ans

 

En plus de l’exposition, il y a tout un programme d’évènements liés, en ce  compris des conversations et votre propre cours de peinture. Tous ces évènements sont repris ici:

https://www.artgallery.nsw.gov.au/exhibitions/john-russell/related-events/

 

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