Il y a quelques mois, j’ai parlé avec Jean-Pierre Hadida lorsqu’il était en Australie pour commencer les répétitions de son spectacle MADIBA, une histoire à propos de Nelson Mandela. Ce spectacle va finir sa tournée australienne avec des représentations à Perth et Adelaide.
Vu la longueur excessive de notre discussion, on va publier cette interview en deux parties, avec la suite publiée d’ici deux jours.
Les infos et les liens pour l’achat des billets se trouvent à la fin de cet article.
Vous êtes le compositeur de la comédie musicale MADIBA.
Je suis plus que ça. Je suis l’auteur, compositeur et collaborateur. Souvent on dit créateur.
Parlez-nous de cette comédie musicale.
C’est une grande aventure qui a commencé à Paris. On l’a jouée pour la première fois en 2016. Donc ça va faire 3 ans. Mon langage c’est la musique et donc je cherchais un beau sujet qui puisse poser des vraies questions sur la société mais qui envoie en même temps un message universel de tolérance, de vivre ensemble et puisse à la fois rassembler de la musique, du théâtre et du jeu.
En en discutant avec mon associé, il apparut évident que Nelson Mandela était un personnage qui pourrait vraiment répondre à tout ça. En étudiant un peu Nelson Mandela, j’ai vu une citation qu’il a faite à la fin de sa carrière où il dit « sans la musique et la danse, je n’aurais pas pu vivre en paix avec ce monde ». Parce que c’est vrai que pendant ces 27 ans de prison, la musique fût très importante parce qu’à l’extérieur, il y avait des concerts qui étaient organisés en son honneur pour le « Free Mandela », pour le libérer. Et cela partout, tant en Europe qu’aux États Unis où il y avait des concerts de groupes de rock, de pop musique, mais aussi de musique traditionnelle. Il y avait toute cette musique et cette danse, parce qu’en Afrique la danse fait partie de la vie normale, d’ailleurs quand il y a des manifestations politiques en Afrique, les gens dansent dans la rue. Donc je trouvais légitime de faire une comédie musicale sur Nelson Mandela. Cela n’avait pas été fait, comme pour d’autres sujets où les gens se mettent à chanter ou danser. Là, ça fait vraiment partie de son histoire.
Donc on a décidé de faire une création. Ce n’est pas facile parce qu’aujourd’hui la plupart des grandes comédies musicales sont souvent des reprises. Il y a l’univers de Disney qui est très en vogue dans les comédies musicales, et puis il y a les grands classiques de Broadway. Là, on a décidé de prendre notre courage à deux mains et de se lancer dans une création pure mais avec un sujet qui était quand même universel, qui allait démarrer sans doute en France mais on a compris très vite qu’on allait sortir de la France avec ce sujet. On sait que l’Afrique est un continent en attente de parler de son grand héros qu’est Nelson Mandela. Donc on a commencé avec Alicia Sebrien, qui est ma collaboratrice, et tous les deux on a bâti un scénario qui n’était pas seulement l’histoire de Nelson Mandela mais aussi une histoire d’amour impossible. Une sorte de Romeo et Juliette à l’époque de l’apartheid. Et de la sorte obtenir une petite histoire dans la grande Histoire.
Justement, j’allais vous demander quelle est la petite histoire dans la grande histoire?
La petite histoire c’est cette histoire d’amour entre Will qui est un jeune sud-africain noir et Elena, qui est la fille du chef de la police… donc vous imaginez! Elle est donc africaine blanche et va, pour la première fois alors que c’est totalement interdit entre les blancs avec les noirs, aller au-delà des règles parce que l’amour est plus fort que tout. Mais dans cette histoire il va y avoir évidemment des drames et ils seront séparés à cause de ces règles de société. Elle va partir en Angleterre plusieurs années. Ils vont se retrouver. Toute cette petite histoire va être rythmée par les grands évènements de la vie de Nelson Mandela.
Au début quand il est jeune avocat et qu’il va résoudre des problèmes au cas par cas, sa prise de conscience politique, son arrestation, ses 27 ans de prison. Evidemment on passe un peu plus rapidement sur ses 27 ans de prison. Mais on se rend compte de l’univers de Nelson Mandela. La prison est devenue un endroit où tout le monde allait le voir, même les policiers, même les gardes, parce que c’était un sage, quelqu’un qui avait une Ora et du charisme. Les gens viendront le consulter même pour écrire une lettre, pour s’exprimer, car il avait cette sagesse.
Il ne faut pas oublier que Nelson Mandela est de lignée royale – il y avait cette hauteur, ce calme pour toujours chercher – de sorte à ne jamais être pris par la violence mais bien à écouter, écouter et rassembler, ce qui n’a pas empêché son arrestation. C’est un activiste parce qu’à un moment donné, la situation étant tellement dramatique à Charleville lorsqu’il y avait des manifestations que beaucoup de gens ont été tués par la police juste parce qu’ils étaient dans la rue pour manifester. Ils ne voulaient plus devoir porter de passes pour circuler.
Voilà, je vous ai décrit un peu tout le contenu de ce spectacle, à savoir qu’évidement la musique est très présente et qu’elle rassemble un peu l’esprit de Nelson Mandela, c’est-à-dire qu’il va y avoir du type Broadway, les belles mélodies et les chants mais aussi des chansons traditionnelles africaines. Un message assez contemporain parce qu’on cherche à réinventer la comédie musicale aujourd’hui avec du rap, avec des moments un peu plus virulents, un peu plus actuels où un narrateur vient justement séquencer toute cette histoire avec son rap. En vous aurez une surprise à la fin, mais je ne vous en dirai pas plus car il faut laisser un peu de suspense.
Donc c’est un spectacle qui est à la fois extrêmement moderne qui pose des questions, qui est politique et, en même temps, c’est un grand divertissement grâce à la musique africaine, la danse, l’espoir, le temps, le national arc en ciel -c’est une des chansons qui est à la fin « Freedom ». Voilà tout ce qui fait vivre de grands moments d’espoir, de gaité et de partage. Et à Paris, c’est un spectacle qui tous les soirs a reçu des « standing ovations » parce que les gens vivaient le moment en directe. Quand Nelson Mandela est libéré par exemple, il y avait la salle qui applaudissait, qui vivait ça vraiment. Et quand on est parti en Afrique c’était encore plus amplifié. Au Sénégal, à Dakar récemment, c’était merveilleux. On a joué en Afrique du Nord, en Algérie, et on a joué dans les Antilles aussi, en Guadeloupe, Martinique…
La chanson « Freedom » lors de la tournée du spectacle à Paris, il y a 3 ans.
Pour la première fois, on va faire une adaptation en anglais. Pour moi c’est un grand bonheur parce que c’est une langue que j’adore et qui est tellement liée à la comédie musicale. Et un grand monsieur qui s’appelle Neil Croker ici en Australie a aimé ce sujet qui l’a bouleversé. Il a dit qu’il faut faire venir ce spectacle dans le monde Anglo-Saxon, chez lui d’abord évidemment, en Australie et en Nouvelle-Zélande. On a travaillé sur une adaptation dans laquelle on a un petit peu fait évoluer quelques moments pour que ça corresponde au public anglo-saxon. Il faut savoir que l’Australie a une histoire forte avec l’Afrique et avec Nelson Mandela. C’était un des pays du Commonwealth, il y avait un premier ministre, Bob Hawke, qui était parmi les premiers à dénoncer l’apartheid en faisant des boycotts économiques, ce qui a vraiment encouragé Mandela et tous les gens qui le soutenaient pour faire chuter l’apartheid. Donc quand Mandela fût libéré, un des premiers pays qu’il a visité fût l’Australie en remerciement de ce soutien et de cette clairvoyance.
Voilà un peu ce qu’on va livrer comme message et là en faisant des répétitions à Melbourne, pour moi c’est magique que de voir tout ce nouveau casting, c’est une renaissance, et je vois dans tous ces artistes qui viennent de Sydney, de Melbourne, des gens qui sont d’origine africaine parfois, des gens qui sont australiens.
Et puis le Nelson Mandela qu’on a choisi, c’est un jeune artiste talentueux parce qu’il chante aussi bien qu’il joue et qu’il danse. Celui va interpréter le rôle de Nelson Mandela s’appelle Perci Moeketsi. Il est sud-africain. Il vient de Pretoria. Il est arrivé en Australie en septembre et on a travaillé avec lui dans ce studio de répétition, le Ministry of Dance de Melbourne. Et je vois à chaque heure que le spectacle prend forme. Notre chorégraphe est venu travailler sur ses chorégraphies. Pierre-Yves Duchesne, le metteur en scène, va venir voir le travail de son metteur-en-scène associé australien, Dennis Watkins. Donc toute cette petite équipe a plein d’énergie pour faire vivre ce spectacle qui réunit tous les arts.
C’est pour cette raison que la comédie musicale m’a toujours intéressé. C’est à la fois visuelle, il va y avoir des projections, des illustrations, du dessin, de la lumière, et il y aura évidemment de la danse, des chansons et puis des très beaux tableaux comme « Soweto ». On va avoir un très beau tableau de tous les danseurs qui sont dans la lutte pour faire respecter leurs droits et pour les obtenir. Voilà, ai-je bien répondu à votre première question?!
Oui ! En fait vous avez bien répondu à plusieures de mes questions! Là c’est une adaptation en anglais de la version originale en français. Quels sont les défis de le traduire en anglais, surtout quand il s’agit de chansons où l’on a souvent les mots qui riment et des choses comme cela?
Ah oui c’est vrai que c’est un exercice très particulier où il faut carrément oublier la version française et c’est pour ça qu’il s’agit non pas d’une traduction mais d’une adaptation. Et j’ai même des chansons qui n’ont plus du tout le même texte parce qu’on est parti sur un autre axe, sur une autre idée. Vous vous souvenez sans doute du célèbre tube « My Way » qui a été repris par Frank Sinatra et qui avait été écrit à l’origine par Claude François en français et qui s’appelait « Comme d’habitude ». Finalement, c’est assez éloigné du texte original et ils ont fait quelque chose de diffèrente en une seule syllabe. « My Way » ce n’est pas de tout « Comme d’habitude ». Ca a transformé un public en anglais, américain, plus mondial. C’est ça un petit peu le défi de l’adaptation. C’est d’oublier l’original pour réinventer la chanson et c’est ça qu’on a fait pour que ça marche.
Et on corrige encore même pendant les répétitions où l’on ne cesse de travailler sur le « work in progress ». C’est-à-dire que ce sont des spectacles vivants que l’on a la chance jusqu’à la première de modifier, de changer, et même après des premières d’ailleurs, surtout les modifications requises pour que les choses soient plus rapides, plus limpides. Voilà, c’est toute la magie du spectacle vivant.
Qui doit venir voir le spectacle « Madiba »?
Pour moi, c’est un spectacle – en France en tout cas – pour les 7 à 97 ans, vraiment toutes les générations. Je crois aussi que ça sera un petit peu plus pointu mais il s’adresse à tous. Je dirais que c’est à partir de 13 ans ou 12 ans. Tout le monde peut venir voir Madiba parce que c’est une histoire importante, festive – le public sera le plus large possible. Tout le monde qui a envie de voir des spectacles vivants, de voir des artistes vifs devant eux. Quand on vit dans un monde d’aujourd’hui où l’on est devant les tablettes, ordinateurs, voilà l’occasion de revenir sur des moments ou un projecteur, sur un artiste qui chante, qui danse et qui va nous émouvoir. Il faut permettre aux jeunes de vivre des expériences et un jeune de 12 ans va totalement comprendre cette histoire et, je pense, que ça sera inoubliable pour lui parce que je crois qu’un grand spectacle où il y a 20 artistes sur scène, des musiciens en live, des danseurs, c’est un moment très fort.
La cible, ce sont des hommes, des femmes qui ont envie de découvrir cette histoire ou de se la rappeler ou qui ont envie d’écouter des chansons – parce que la force d’une comédie musicale est dans ses chansons fortes et qui restent. Quand on entend la chanson « jail », « the rainbow nation », « Freedom » ou « Soweto » c’est le moment des très belles expériences. C’est comme un voyage initiatique et moi j’invite vraiment le plus grand nombre à venir le voir.
Pourquoi choisir de venir voir cette comédie musicale plutôt qu’une autre?
Je pense que toutes les comédies musicales sont bonnes à voir mais c’est vrai qu’il faut faire un choix parce qu’il y a le budget pour toutes les voir mais je dirais que celle-là est d’abord une création – il faut encourager les créations, c’est une histoire importante qui nous rappelle que la démocratie est quelque chose de fragile et partout aujourd’hui il faut se souvenir que l’homme est au service de l’homme. Les hommes sont là pour se comprendre et la culture est la meilleure arme pour combattre l’injustice.
La deuxième raison c’est que cela permet de passer deux heures où l’on oublie tout. On va taper des pieds et des mains. On va entendre des sonorités qui viennent d’ailleurs. On a aussi des voix fabuleuses. Ce qui s’est passé à Paris, c’était ces artistes merveilleux de toutes origines qui viennent de la diversité et je trouve qu’en Australie, qui est un pays de diversité – j’ai été à Sydney et à Melbourne – c’est vraiment le « United colour » comme on dit. Donc voilà, pour toutes ces raisons, c’est l’effet curieux. Ce n’est pas comme les valeurs sûres comme Grease ou comme West Side Story.
Je dirais que c’est nouveau, c’est très chanté, il va y avoir ceux qui sont fans des comédies musicales classiques, des artistes comme Blake Erickson qui est un fabuleux chanteur et qui joue le rôle de chef de la police avec sa chanson « My civilisation ». Et puis, il va y avoir des moments plus rap, plus hip-hop – urbains comme on dit. Je crois que c’est ça vraiment qui manque aujourd’hui au niveau de la comédie musicale et là vous verrez une artiste qui s’appelle David Dennis qui est un super rappeur, narrateur, conteur. Voilà ça va être “que du bonheur”.
Je remarque qu’il y a une comédie musicale à New York qui cartonne et qui s’appelle Hamilton, qui contient aussi du rap, ce qui a changé un petit peu le code. C’est un des plus grands succès à Broadway aujourd’hui parce que justement elle avait réveillé un peu le style.
Alors ça fait beaucoup de raisons!
C’est bien. Comme ça on couvre beaucoup de personnes!
Vous pouvez voir « Madiba The Musical » à Perth du 2 au 12 janvier et à Adelaide du 17 au 20 janvier. Les billets coûtent entre $49 et $109, plus des frais de réservation
Les billets pour Perth sont disponibles ici et les billets pour Adélaïde sont disponibles ici.
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