Saint Omer est un film émouvant et intelligent qui dépeint le procès d’une jeune femme sénégalaise, Laurence Coly (interprétée par Guslagie Malanda), accusée d’infanticide pour avoir laissé sa fille se noyer sur une plage, la nuit, à l’âge de 15 mois. Coly reconnaît les faits entourant la mort de son enfant mais plaide non coupable. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a commis ce geste, elle répond à la cour qu’elle espère que le procès le lui révélera.
Le procès explore l’enfance de l’accusée et ses relations avec ses parents et avec le père de l’enfant qu’elle est accusée d’avoir assassiné. À plusieurs reprises au cours du procès, Coly fait référence à la sorcellerie et à un sort que sa tante aurait jeté sur elle et sa famille au Sénégal.
Laurence prétend avoir eu des appels téléphoniques quotidiens avec des voyants et des guérisseurs spirituels avant de tuer sa fille, mais il n’y a pas de relevés financiers ou téléphoniques pour étayer ses dires. Le procureur estime qu’elle savait ce qu’elle faisait, que l’enfant n’était qu’une gêne pour elle et que l’évocation de la sorcellerie et des sortilèges n’était qu’une stratégie de défense commode. Il ne s’agit pas d’une femme folle, mais d’une femme manipulatrice et calculatrice, affirme le procureur.
Laurence est inexpressive pendant la majeure partie du film. Pourtant, malgré le peu d’émotion qu’elle montre, nous avons tendance à croire qu’elle n’avait pas les idées claires lorsqu’elle a décidé d’abandonner sa fille aux marées. Guslagie Malanda incarne ce personnage troublé de manière convaincante, compte tenu des limites du peu d’émotion qu’il manifeste. Le procureur nous fait parfois remettre en question son témoignage, mais dans l’ensemble, nous avons de la sympathie pour Laurence.
Rama (interprétée par Kayije Kagame dans son premier long métrage), une enseignante sénégalaise de littérature, est présente au procès. Elle écrit un livre sur le procès, considérant l’accusée comme une Médée des temps modernes (une femme de la mythologie grecque qui a tué ses fils dans un acte de vengeance contre leur père). Cependant, le fait d’écouter les témoignages, jour après jour, a un effet profond sur elle, la forçant à remettre en question sa propre relation avec sa mère, d’autant plus qu’elle est enceinte et que, tout comme l’accusée, elle a choisi de ne parler de sa grossesse à personne, à l’exception de son compagnon.
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Les réflexions de Rama sont illustrées par des flashbacks de moments de son enfance : elle rentre à la maison avec du sang menstruel sur son pantalon blanc et se fait dire de sortir de la pièce par sa mère qui était en train de faire du repassage ; sa mère place du chocolat en poudre (un choix populaire de petit-déjeuner pour les enfants français, mélangé à un bol de lait chaud) sur la table sans lui dire un mot ni même la regarder dans les yeux, alors qu’elle se tenait juste à côté, et quitte ensuite la pièce.
Les opinions racistes imposées à l’accusée sont évidentes. Par exemple, le superviseur de la thèse, appelé à témoigner, déclare au tribunal qu’elle ne comprend pas pourquoi une femme noire a choisi comme sujet Wittgenstein, un philosophe autrichien, et non un sujet proche de sa propre culture. Des références sont faites à la bonne élocution de la jeune femme, ce que Rama rejette et corrige en disant qu’elle s’exprime simplement comme le fait une personne éduquée.
Bien qu’il ne le dise pas explicitement, Saint Omer est largement inspiré du procès de Fabienne Kabou, une jeune femme sénégalaise accusée d’avoir infanticidé sa fille de 15 mois en la laissant se noyer sur une plage de Berck-sur-Mer. En fait, une grande partie des dialogues prononcés lors du procès de Laurence Coy dans le film sont directement tirés des transcriptions du procès de Kabou. Le film tire son nom de la ville où s’est déroulé le procès et il a été tourné dans le même palais de justice, mais dans une salle adjacente à celle où Kabou a été jugé.
Si le personnage de Rama est fictif, la réalisatrice Alice Diop reconnaît qu’elle s’est inspirée de sa propre expérience en assistant au procès de Kabou, et qu’elle a sans doute quelques caractéristiques et traits communs avec elle.
Les personnes assises dans la tribune du public lors du procès de Saint Omer ne sont pas des acteurs mais
des vrais spectateurs de la ville, les comédiens interprétaient un texte documentaire, dans une réalité documentaire rejouée, il n’y avait
pas d’“Action !”, pas de “Coupez !”. On a tourné dans la continuité, ce qui veut dire que les comédiens revivaient le procès. Donc c’est le mélange de
quelque chose d’extrêmement stylisé — le cadre—, d’extrêmement mis en scène — la temporalité des plans — avec quelque chose de totalement
documentaire : la manière de filmer et d’enjoindre les
acteurs à convoquer une émotion très documentaire
explique la réalisatrice Alice Diop.
Saint Omer met également en évidence la manière dont les procès pénaux sont menés en France. Ici, au lieu de présenter les arguments du procureur puis ceux de la défense, c’est principalement le juge qui dirige le procès, en examinant les preuves, les déclarations des témoins et en posant des questions à l’accusé et aux témoins. Les avocats de l’accusation et de la défense sont également autorisés à interroger les témoins, mais cela contraste fortement avec la manière dont les affaires sont menées dans les pays de Common Law comme l’Australie.
Alors que vous pouvez lire le véritable verdict de Fabienne Kabou dans tous les articles en ligne, Diop a choisi de ne pas montrer le verdict de Laurence Coly dans son film Saint Omer. Que le jury l’ait déclarée coupable ou non n’avait pas d’importance pour la réalisatrice. Elle a laissé au spectateur le soin de se faire sa propre opinion. S’agit-il d’une femme qui construit soigneusement une histoire de sorcellerie tout en tuant sciemment et par calcul son propre enfant ? Ou s’agit-il d’une femme si gravement déprimée et mentalement handicapée au point de sombrer dans la folie qu’elle a été poussée à agir de la sorte ?
La réalisatrice Alice Diop, interrogée sur l’absence de verdict à Saint Omer, a déclaré à Above the Line :
Je ne suis pas intéressé par la question à savoir si elle est coupable ou non. Il n’y a pas de mystère ou de suspense puisque dès le début, nous reconnaissons qu’elle est coupable. Il ne pouvait donc pas être construit avec le suspense habituel d’une enquête criminelle. Ce qui m’a fasciné, lorsque j’ai assisté au procès pour le film, c’est l’incroyable complexité ou capacité de cette personne, de cette femme.
A plusieurs reprises, tout au long de Saint Omer, on entend le bruit d’une respiration, que ce soit celle de Rama, seule dans sa chambre d’hôtel à la fin de la journée, ou celle de Rama, assise au tribunal, écoutant les témoignages. En fait, à part les dialogues et les sons ambiants, il y a très peu de musique, sauf dans le dernier tiers du film.
Saint Omer est le premier long métrage d’Alice Diop. Il a été la nomination officielle de la France pour le meilleur film international aux Oscars 2023. Un exploit impressionnant pour un premier long métrage ! En France, il a remporté le prix du Meilleur premier film et a été nommé dans trois autres catégories : Guslagie Malanda dans la catégorie Meilleur espoir féminin pour son interprétation de l’accusée, Meilleur scénario original et Meilleure photographie.
Saint Omer a connu un grand succès en dehors de la France et a remporté le Grand prix du jury au Festival international du film de Venise (Mostra de Venise) 2022, le prix du meilleur film aux festivals du film européen de Séville et du film international de Genève 2022 et le prix du meilleur film au Festival du film de Palm Springs.
Saint Omer est un film qui vous oblige à réfléchir sur le regard que vous portez sur les femmes, et en particulier sur les femmes issues de cultures qui ne sont pas les vôtres. D’autant plus lorsqu’elles sont accusées d’actes atroces et qu’elles font référence à des croyances et à des forces malveillantes auxquelles la culture occidentale ne croit pas. C’est aussi un film sur les relations mère-fille et l’impact qu’elles peuvent avoir sur la relation future de la fille avec sa propre fille. Saint Omer est un drame judiciaire puissant, mais aussi humain, qui vous accompagnera longtemps après votre sortie du cinéma.
5 CROISSANTS
Matilda Marseillaise était l’invitée de Palace Films lors d’une projection avancée du film pour les médias.
Saint Omer est sorti en France fin novembre 2022 et a fait ses débuts australiens à l’Alliance Française French Film Festival en mars 2023. Le film est distribué par Palace Films dans tout le pays à partir du jeudi 25 mai 2023.
Deux autres films de l’AFFFF sont aussi sortis depuis : L’Innocent et Novembre.
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