Le compositeur belge Nicholas Lens nous parle de l’opéra qu’il a écrit avec JM Coetzee dont un extrait majeur sera présenté au festival d’Adelaide 2024

NIcholas Lens - Is this the gate?
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Nicholas Lens est un compositeur belge de musique contemporaine, notamment connu pour ses opéras. Avec l’ecrivain sud-africain et australien JM Coetzee, il a écrit l’opéra Costello in Limbo  (Elizabeth Costello at the gate). Un extrait de cet opera sera présenté au festival d’Adelaide ce mars sous le nom de Is this the gate? On parle avec Nicholas Lens de cet opera, son travail avec JM Coetzee, et avec Nick Cave et encore bien plus.

NIcholas Lens - Is this the gate?

IS THIS THE GATE ? ET SON TRAVAIL AVEC JM COETZEE

Nicholas Lens, au festival dAdelaide, un concert spécial présentera en avant-première un extrait majeur d’un nouvel opéra composé par vous. Parlez-nous un peu de cet opéra et de lextrait qui sera présenté.

Je vais vous lire le résumé que je viens d’écrire 🙂 « La célèbre auteure Elizabeth Costello est décédée. Dans l’au-delà, elle arrive à une porte massive. (« Si c’est là le seuil de l’au-delà », pense Elizabeth d’un ton truculent, «n’auraient-ils pas pu trouver quelque chose de plus original ?’). Costello est curieuse de voir ce qu’il y a derrière cette porte et aimerait la passer. Mais elle est arrêtée. Comme avant, elle doit justifier sa vie d’écrivain.

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Is this the gate? est un aperçu de l’entièreté de l’opéra  Costello in Limbo  (Elizabeth Costello at the gate)  (2,5 heures), basé sur le roman Elizabeth Costello de John M. Coetzee. C’est le deuxième opéra que j’écris sur un livret de John M. Coetzee. Le premier s’appelait Slow Man et a été créé au Festival de Malte, Poznan. Notre troisième opéra Le Maître de Saint-Pétersbourg, sera centré sur un événement survenu pendant la vie de Féodor Dostoïevski.

Dans cet aperçu Is this the gate?,  l’orchestration a été réduite du orchestre symphonique, chœur de femmes, 6 solistes (Costello, le Gardien, Kapo et les 3 Juges)  à uniquement une soliste vocale (Elizabeth Costello) et un petit ensemble de chambre.

 

Ce nest pas la première fois que le public du festival dAdelaide a entendu vos œuvres avec Flamma Flamma joué à la soirée douverture du festival en 1998. Venez-vous en Australie pour le festival cette fois-ci ?

Oui, je viens au Festival cette année et j’assisterai à certaines répétitions des artistes. 1998, c’est effectivement bien loin. À cette époque, j’étais au début de ma carrière et j’espère que ma technique et mes compétences se sont améliorées depuis :). Le plus drôle, c’est que Flamma Flamma sortira à nouveau dans le monde entier en avril 2024 sur un double vinyle et dans tous les stores numériques. Il s’agit d’une réédition 30 ans après la sortie de l’original, comme une sorte de célébration. L’album a été entièrement réédité et remastérisé. Parfois, dans le passé, j’ai qualifié Flamma Flamma de péché de jeunesse, mais maintenant je le considère comme une création honnête de cette époque et de la personne que j’étais.

 

Cet extrait parle dun opéra que vous avez composé avec J.M. Coetzee. Ce nest pas la première fois que vous travaillez ensemble non plus. Depuis quand travaillez-vous ensemble et comment vous vous êtes rencontrés ?

Nous avons écrit ensemble l’opéra Slow Man (Coitus with a Stranger) basé sur son livre Slow Man. L’œuvre a été créée en 2012 à Poznan au Festival de Malta dans une magnifique mise en scène de Maja Kleczewska. Il y a seulement un mois, l’œuvre a été achetée pour être publiée par Mute Song Ltd avec des prints de Chester Music et j’aimerais voir l’œuvre ressuscitée car c’est l’une de mes créations préférées. Je considère en effet Slow Man comme l’une des œuvres qui me paraît la plus aboutie parmi ce que j’ai écrit jusqu’à présent.

John M Coetzee and Nicholas Lens
John M Coetzee et Nicholas Lens

Vous êtes Belge basé en Belgique je crois et JM Coetzee est sud-africain basé en Australie de ce que je comprends. Comment travaillez-vous ensemble ?

On ne veut pas dévoiler la méthode, si tant est qu’elle existe. Non pas parce que je ne veux pas être généreux, mais plutôt parce que j’ai peur que la magie disparaisse en analysant notre relation de travail pour moi-même et pour un public. Difficile d’entrer donc dans les détails puisque nous travaillons toujours ensemble, aussi bien pour l’opéra Costello in Limbo (la version entière de 2,5h) que pour un autre opéra Le Maître de Pétersbourg inspiré d’un événement assez particulier survenu durant la vie de Féodor Dostoïevski. Au début, nous avons eu de nombreux échanges par lettres et emails, mais ensuite nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Toulouse en France. Depuis, les choses se déroulent comme nous l’entendons.

 

Est-ce que vous lisez son roman Elizabeth Costello sur lequel le libretto est basé, avant de composer la musique ?

Bien sûr, j’ai lu le roman, comme presque toutes les œuvres de JM Coetzee.

 

Les adaptations d’opéra que nous réalisons à partir des romans restent peut-être différentes de l’histoire originale, car le livre existe déjà. Nous donnons d’autres accents aux protagonistes; leur présence physique et le fait que tous les mots soient chantés leur donne une dramaturgie complètement différente. La tension qui se développe n’est notamment pas similaire qu’à une lecture de l’oeuvre en solitaire.

 

En général, avec JM Coetzee pour Slow Man, j’ai choisi moi-même les personnages avec lesquels nous allions travailler de son livre, et pensé une première ébauche d’une transcription sobre et lyrique. Sur cette base, John a continué et a finalement écrit le livret. Mais pour Costello et Le Maître de Pétersbourg, John fait tout lui-même. Encore une fois, il n’y a pas de règles.

De quoi parle lextrait que le public du festival dAdelaide va entendre ?

Dans cet aperçu, Costello vole avec empressement des extraits de textes d’autres solistes (de l’opéra complet) et les adopte pour faire valoir son point de vue. Pour ainsi dire, elle se confronte à une dualité imaginée de sa propre nature, à la fois intellectuelle et rebelle.

 

Y a-t-il des émotions ou des messages spécifiques que vous souhaitez évoquer à travers votre musique ?

Question intéressante, mais difficile de répondre. Je suis un écrivain instinctif, ce qui signifie que je n’intellectualise pas ce que j’écris. Peut-être que cela pourrait venir plus tard, lors de l’orchestration et de la structuration de ces impulsions. Je n’ai donc connaissance d’aucun message spécifique qui pourrait être caché dans ces pensées, mais je ne les exclus pas. Vous parlez d’émotions. Ce ne sont pas les émotions que je cherche ou que je souhaite provoquer car je ne les contrôle pas non plus. Je veux juste raconter une histoire honnête et j’espère qu’elle sera comprise.

 

Comment décririez-vous votre style musical ? Cet opéra comporte-t-il des éléments innovateurs qui le distinguent des autres ?

Encore une fois, il est difficile de répondre, mais c’est intéressant. Je viens d’univers très différents, ma mère était pianiste classique et mon père dirigeait des chants grégoriens pour un chœur d’hommes. La musique classique et contemporaine était tout ce qui était autorisé à la maison. Alors, quand j’étais adolescent, je suis allé en secret écouter Jimi Hendrickx, Jethro Tull, Black Sabbath, CCR, etc, à l’extérieur de la maison familiale. Cela pourrait expliquer qu’au début, comme dans Flamma Flamma, j’autorisais même parfois la structure pop dans mon travail, car cela me paraissait tout à fait naturel. I was after all a child of my time. Bien sûr, plus tard, j’ai commencé à travailler en ne me fiant pas exclusivement aux structures tonales et j’ai commencé à expérimenter des rythmes et des sons différents, plus complexes. Mon travail aujourd’hui est un mélange de tout cela, de la simplicité opposée à la complexité, de la vulgarité opposée à la tendresse, et tout cela sans le remettre en question. Je l’utilise comme ça vient.

 

Y a-t-il des techniques musicales ou des instruments spécifiques qui jouent un rôle crucial dans cette composition ?

Is this the gate? est écrit pour mezzo soprano, basson, piano et quatuor de cordes, donc une configuration très classique pour ainsi dire. Parfois, les musiciens eux-mêmes participent également à la production de sons vocaux, mais cela est plutôt limité et est davantage utilisé comme un modeste effet sonore.

 

DAUTRES OEUVRES – NICHOLAS LENS ET NICK CAVE

Vous avez également travaillé avec l’auteur-compositeur-interprète australien Nick Cave sur un opéra traitant du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) chez les soldats revenant de la guerre. Comment en êtes-vous venu à travailler ensemble ?

L’Opéra Royal de la Monnaie m’a demandé d’écrire une pièce sur ce sujet. C’est un sujet qui m’a beaucoup séduit puisque je suis né dans une ville dite de guerre, la ville d’Ypres, près de la frontière française en Flandre où La Première Guerre mondiale était l’épicentre de millions de morts.

Nicholas Lens and Nick Cave
Nick Cave et Nicholas Lens © La Monnaie opera house

J’ai appelé Nick qui m’a immédiatement dit oui et m’a envoyé quelques textes en seulement quelques heures. Nous nous sommes rencontrés à Los Angeles et nous avons commencé à travailler en nous envoyant des bribes, puis nous avons travaillé principalement dans sa cuisine dans son ancienne maison à Brighton. Tout s’est très bien passé, smooth et cool. L’œuvre a également été jouée en direct à Paris et il y a maintenant un intérêt en Australie pour la faire revivre ici également, car l’œuvre ne parle pas d’une guerre en particulier mais de la guerre en général, de son aspect universel dans ce qu’elle porte en idiotie et en souffrance.

 

JM Coetzee et Nick Cave sont des écrivains dotés d’une authenticité très forte, en d’autres termes : chaque mot qu’ils ont écris est vrai, presque écrit avec du sang entre les doigts. Parfois les lire fait mal, mais c’est sûrement sincère et humain, et c’est pourquoi c’est un honneur de pouvoir travailler avec des gens de ce niveau.

 

SUR VOUS ET VOS PROCESSUS

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le monde de la composition d’opéra et comment avez-vous commencé ?

J’ai commencé à écrire sans penser, depuis toujours en fait, depuis que j’ai 13 ans je pense. C’était comme ça, j’écrivais en secret, et je ne le montrait à personne. Jusqu’au moment où j’ai osé sortir mes premiers écrits. Pour moi, la structure lyrique est la forme ultime du théâtre. Il y a toutes ces couches d’expressions, et chaque couche a sa propre tension dramaturgique. Si elles sont bien utilisées, ces dramaturgies se réunissent en un tout écrasant, créant une impression qui ne peut être comparée à aucune autre forme de mise en scène. Une voix qui chante ne ment pas, peut-être pas parce qu’elle ne le veut pas, mais parce qu’elle n’est tout simplement pas capable de mentir. Toute hésitation, même techniquement masquée, sera entendue. La discipline lyrique crée l’opportunité d’allier la beauté à la cruauté, la virtuosité à la sobriété, l’éminence à l’indécence. Comme la langue n’est pas parlée, elle provoque un autre frisson que la communication directe, certainement plus pénétrant, car il faut du temps pour laisser l’expérience globale être absorbée par vos jointures et vos os. Surtout à long terme, cela peut fonctionner comme une intoxication lente mais agréable et saine. Si c’est bien fait, l’intensité reste en effet en vous comme un parfum prégnant qui refuse de se vaporiser. Surtout à une époque où notre attention aux choses en général est devenue très brève et limitée, l’opéra est un bien-être mental à part entière.

 

Y a-t-il des influences belges ou culturelles spécifiques que l’on peut identifier dans votre opéra ? Quel est l’impact de vos origines culturelles sur votre style de composition ?

J’ai été fortement influencé par la danse contemporaine qui était depuis mon enfance très présente dans mon pays et extrêmement développée, et même devenue une référence mondialement. Lire des livres, voyager, rencontrer des gens de natures très différentes, notamment la confrontation entre les cultures latines et germaniques qui font l’ossature de la culture belge, ont toujours été mes sources d’inspiration et cela n’a jamais changé.

 

Quel est votre processus créatif ?

Il n’y a pas de règles. Au début, je n’avais même pas de piano, j’écrivais mes premières œuvres complètement de ma tête, juste avec un crayon. Maintenant tout me va : chanter des motifs sur un recorder pendant que je suis sur la route, se précipiter aux toilettes lors d’un dîner pour écrire des notes sur du papier toilette, travailler au piano ou directement sur un logiciel. Pas de règles. C’est ce qui est gai.

 

Comment abordez-vous la création de personnages et la construction d’un récit à travers la musique ?

Les personnages des livres de JM Coetzee sont solides comme du béton, il ne me reste plus qu’à les transformer en une présence musicale basée sur leur crédibilité originelle. Le fait qu’ils racontent l’histoire à la fois par leur présence physique et leur voix, crée la possibilité de ne pas exagérer la tension dramatique car dans l’opéra, nous avons déjà toutes ces différentes couches.

 

Vous composez ses œuvres qui seront joués par dautres. Est-ce quil vous arrive de les présenter vous-même ?

J’ai été artiste-interprète, et ce pendant de nombreuses années. Maintenant, je me contente d’écrire pour les autres.

 

Pourquoi les gens doivent- ils acheter des billets pour venir au concert Is this the gate ? au festival dAdelaide ?

  • Les deux écrivains seront présents, pour ce que ça vaut  🙂
  • Les interprètes australiens ont d’excellents crédits.
  • Tout sera filmé, mais rien ne vaut d’être là en direct.
  • C’est la première fois que cette œuvre sera jouée, notamment dans un format particulier.
  • Et je dirais, lisez le livre, puis venez le voir. Cela rendra la représentation encore plus riche.

 

Dautres choses que vous souhaitez nous dire ?

Le Festival d’Adélaïde est considéré comme l’un des trois grands festivals au monde, avec le festival d’Avignon et celui d’Edimbourg. C’est un honneur pour moi de venir et j’ai vraiment hâte.

Nous remercions Nicholas Lens pour cette interview et nous avons hate d’entendre l’extrait de l’opéra au festival d’Adelaide ce mars.

INFOS CLÉS POUR IS THIS THE GATE ?

QUOI : Is this the gate? Un extrait majeur d’un opéra écrit par JM Coetzee et Nicholas Lens

OÙ : Elder Hall

QUAND : 12h30, 8 mars 2024

COMMENT : Achetez vos billets pour Is this the Gate ? par ce lien

COMBIEN : Les prix des billets sont les suivants :

  • Adulte 39 $
  • Amis du festival 33 $
  • Tarif réduit : 30 $ (Les billets à tarif réduit sont disponibles pour les retraités, les détenteurs d’une carte d’assurance maladie et les membres de MEAA/Actors’ Equity. Les cartes Commonwealth Senior Health et Seniors ne sont pas éligibles.)
  • Moins de 30 ans 20 $ (Pièce d’identité requise)
  • Étudiant à temps plein 20 $ (Pièce d’identité requise)

Avez vous déjà participer aux oeuvres de Nicholas Lens? Comme le concert Flamma Flamma au festival d’Adeladie il y a une vingtaine d’années?  

Pour les évènements ayant liens vers la France et la Francophonie qui auront lieu en Australie ce mois-ci, consultez notre rubrique Que faire en janvier.

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Matilda Marseillaise

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