Guillaume Tournaire, chef d’orchestre français, est actuellement sur Sydney pour la production de Don Giovanni de l’Opera Australia. Il est venu en Australie pour travailler avec Opera Australia plusieurs fois. On lui parle de Don Giovanni, d’opéra et de lui. Lisez l’interview avec Guillaume Tournaire ci-dessous.
Guillaume Tournaire, vous venez en Australie pour la production de Don Giovanni de l’Opera Australia duquel vous êtes chef d’orchestre. Parlez-nous un peu de cette production.
Ce spectacle a été conçu par le célèbre metteur en scène David Mc Vicar invité par Opera Australia pour réaliser une nouvelle (et magnifique) production de ce que l’on nomme la « Trilogie Da Ponte ». Après avoir composé de nombreux opéras comme Idomeneo ou l’Enlèvement au Sérail, Mozart a collaboré par trois fois avec le librettiste Lorenzo da Ponte. Cette extraordinaire rencontre nous a légué trois chefs-d’œuvre, Le Nozze di Figaro (1786), Don Giovanni (1787) et Così fan Tutte ((1790).
Après avoir déjà mis en scène cette trilogie pour The Royal Opera House (Covent Garden) à Londres, David McVicar en a réalisé une nouvelle production pour l’Opéra de Sydney. J’ai déjà eu le bonheur et le privilège de diriger pour Opera Australia Le Nozze di Figaro (en 2016 et 2019), et c’est avec une intense émotion que je reviens à Sydney pour ce Don Giovanni.
Vous avez travaillé avec l’Opera Australia sur plusieurs productions depuis 2011 mais Don Giovanni sera votre première performance en Australie depuis la COVID, je crois?
Comme pour la plupart d’entre nous (et pas seulement les musiciens…), la vie semble s’être arrêtée pendant près de deux ans. Pour de nombreuses familles, cette période fut très difficile, voire même tragique. Elle nous a démontré combien la vie est fragile, et combien nos comportements et l’avenir de l’humanité doivent être désormais notre préoccupation de tous les instants.
Qu’est-ce que vous appréciez dans le travail de l’Opera Australia?
Son excellence! Mais aussi, et surtout, la formidable humanité qui habite le cœur de chacun de ses membres, qu’ils soient chanteurs, musiciens, techniciens, collaborateurs administratifs… J’admire énormément cette compagnie.
Pourquoi avez-vous décidé de devenir chef d’orchestre?
Je ne le sais pas vraiment moi-même, mais c’est un rêve d’enfant. Bien que n’ayant pas de musicien dans ma famille, depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours rêvé de faire ce métier. Enfant, je chantais dans le chœur très Amateur (avec un A Majuscule) d’une bourgade en Provence, et le plaisir que j’éprouvais chaque samedi à partager la musique avec les autres m’a sans doute amené sur ce chemin.
Et qu’est-ce qui vous a mené vers l’opéra plus spécifiquement?
La beauté de la voix humaine, et la richesse, la complexité des échanges, des sentiments que l’on partage tout au long de l’élaboration d’une production. C’est sans doute l’expression du spectacle vivant le plus complexe, alliant création, tradition, musique, théâtre, littérature, arts visuels, danse, technologie… La vie d’un Opéra ressemble aussi en beaucoup d’aspects à celle d’un cirque où l’on partage de longues périodes de répétitions en commun, dans lequel chacun doit être à l’écoute de l’autre.
Quels sont les qualités requises pour devenir chef d’orchestre?
Il faut bien-sûr avoir une solide formation musicale, jouer soi-même d’un ou de plusieurs instruments, avoir une culture aussi large que possible, connaître parfaitement les partitions que l’on choisit de diriger… mais là n’est pas l’essentiel. Contrairement à un professeur qui, en principe, s’adresse à des élèves qui attendent de lui d’être instruits, un chef est entouré de musiciens qui ont tous un formidable talent et un grand bagage musical. Sa mission n’est pas de leur apprendre quoique ce soit, mais de leur communiquer sa propre passion, sa propre perception d’une œuvre tout en sollicitant leur intérêt et en les mettant à l’écoute les uns des autres. Lorsque la magie opère, on a vraiment l’impression que l’orchestre s’enflamme et qu’il n’y a rien de plus beau au monde…
Vous avez également étudié le piano. Est-ce que vous en jouez toujours?
Oui et non… Je joue encore régulièrement du piano, mais seulement pour travailler mes partitions d’orchestre ou éventuellement pour répéter avec un chanteur. Je n’ai malheureusement plus le temps de travailler ma technique comme par le passé, et ne veux plus jouer en concert.
De plus vous avez aussi écrit vos propres versions de la musique de Grieg, Mozart, Mahler, Prokofiev, Damase parmi d’autres. Parlez-nous un peu de cette expérience.
Je crois que l’une des plus grandes qualités devrait être chez tout-un-chacun la curiosité. J’ai toujours aimé aller dans les bibliothèques chercher des partitions peu ou pas connues, juste pour les lire et éventuellement les (re)jouer en public. À ce titre, j’ai eu en Australie la chance d’enregistrer avec l’Orchestra Victoria de Melbourne et l’Orchestre Symphonique de Brisbane, des œuvres aussi magnifiques qu’injustement inconnues (jusqu’alors) de Louis Vierne ou de Camille Saint-Saëns. Deux grands projets me passionnent pour cette nouvelle année. En octobre et décembre 2023, je dirigerai deux fantastiques opéras (oubliés!) de Camille Erlanger (1863-1919) : L’Aube Rouge (au Festival de Wexford) et La Sorcière (à Genève)!
Est-ce que vous avez parfois envie de jouer de la musique et non la diriger?
Il y a quelques années, je jouais beaucoup de musique de chambre avec des amis. Cette pratique me manque beaucoup, mais la vie est ainsi faite et j’ai tellement de chance de diriger qu’il serait déplacé de me plaindre.
Combien d’heures de répétition faites-vous avec l’orchestre avant la soirée d’ouverture? J’imagine que les musiciens doivent tous être assez familiers avec la partition au moment où vous arrivez en Australie?
Je ne répète pas qu’avec les musiciens… Lors d’une nouvelle production, nous avons en général quatre semaines de répétitions musicales et scéniques avec les chanteurs et un pianiste. Ensuite, nous avons quelques séances de lectures avec l’orchestre seul, puis chanteurs et musiciens sont réunis quelques jours avant la première. Que la partition soit connue ou pas de l’orchestre, nous avons toujours des séances de lectures pour trouver ensemble des couleurs, une interprétation, et bien sûr, les musiciens arrivent tous déjà parfaitement préparés avant la première répétition.
Vous avez dirigé des orchestres un peu partout – en France, en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Autriche, en Russie, a Portugal et même en Korê du sud– quel a été le point culminant de votre carrière?
Je ne pourrais absolument pas mettre une seule production en avant par rapport à toutes les autres. Par contre, j’ai en mémoire de nombreuses émotions très fortes éprouvées ici ou là, pour une raison ou une autre qui n’est du reste pas toujours liée à la seule qualité musicale. Puisque nous sommes à Sydney je ne peux m’empêcher de penser aux merveilleuses productions que j’ai dirigées ici d’Eugène Onéguine, de Faust, de Thaïs, de Figaro, partagées avec Nicole Car.
Quel est votre opéra préféré à diriger? Avez-vous un compositeur préféré?
C’est toujours celui que je suis en train de répéter ou de diriger… Lorsqu’on monte sur une scène, il faut toujours le faire en pensant que ce pourrait être la dernière fois de notre vie.
Est-ce qu’il y a des partitions extrêmement difficiles à diriger?
Oui, hélas,… celles qui sont moins géniales… Souvent, la difficulté ne se trouve pas où on le croit…
Pourquoi les gens doivent-ils venir voir la production de Don Giovanni de l’Opera Australia ce janvier et février?
Plus les années passent, plus j’ai d’expérience, et plus il me semble que Mozart est La lumière qui nous éclaire. Sa musique est le jaillissement même de la vie. Le rire qui dépasse toutes les ténèbres. L’humanité la plus fragile comme la profonde.
Nos sociétés semblent enfin découvrir les horreurs et abus des comportements machistes… mais en 1787 déjà, Mozart et da Ponte faisaient témoigner Donna Anna, Donna Elvira et Zerlina des abus de Don Giovanni. Bien avant le mouvement MeToo… et bien au-dessus des discours de caniveaux des réseaux sociaux, leur dénonciation nous étourdit par sa force et son élévation.
D’autres choses à nous dire sur vous, sur l’opéra en général ou sur cette production de Don Giovanni?
Peut-être un conseil à qui n’aurait jamais entendu d’opéra… Venez découvrir Don Giovanni… vous serez stupéfaits, abasourdis (entre autres merveilles), par la puissance évocatrice de la scène finale, où deux titans, Don Giovanni et le Commendatore s’affrontent jusqu’à l’anéantissement du mal.
INFOS CLÉS POUR DON GIOVANNI
QUOI : L’opéra Don Giovanni présenté par Opera Austalia
QUAND:
mardi 10 janvier, 19h
samedi 14 janvier, midi
mardi 17 janvier, 19h
jeudi 19 janvier, 19h
samedi 21 janvier, 19h
mercredi 25 janvier, 19h
samedi 28 janvier, 19h
jeudi 2 février, 19h
jeudi 9 février, 19h
vendredi 17 février, 19h
OÙ: Joan Sutherland Theatre, Sydney Opera House
COMMENT: Achetez vos billets par le site web de l’Opera Australia: https://opera.org.au/productions/don-giovanni-sydney/
COMBIEN: Le prix de billets adultes commencent à 81 $ plus frais de réservation 9,80 $
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Cathy Di Zhang est dans cette production aussi. Lisez notre interview avec elle lorsqu’elle était la vedette de la production Bohème on the Beach de State Opera South Australia
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