L’artiste français Denis Defrancesco présente actuellement son œuvre KingKongBalls XXL au Sculpture by the Sea à Sydney. C’est un artiste aux multiples facettes. La sculpture et la peinture ne sont que quelques-uns des moyens qu’il utilise. Nous discutons avec lui de KingKongBalls XXL, de l’humour dans l’art et de la manière dont il traite les thèmes de la nature et de l’humanité dans son travail.
Est-ce la première fois que vous exposez KingKongBalls XXL ou l’une de vos œuvres en Australie ?
Oui, c’est la première fois que j’expose une de mes œuvres au grand public en Australie, mais j’espère que ce ne sera pas la dernière.
Quand avez-vous créé KingKongBalls XXL et qu’est-ce qui vous a inspiré ? Existe-t-il des versions plus petites ?
KingKongBalls XXL a été agrandi en 2019 à partir de l’œuvre originale datant de 2017.
J’ai créé KingKongBalls en taille humaine (1,70 mètre) en 2017, dans les ateliers de Carrare pour la conception et de Gambellara pour la fonderie. Ces deux ateliers se situent en Italie.
À l’époque, je cherchais une image pour exprimer ma liberté, et je suis tombé sur une photo amateure d’un bonobo nonchalant, adoptant une posture humaine et observant les passants au zoo de San Diego. Je me suis dit : « Voilà, c’est celle-là. » Ce singe, sa posture, ses attributs, sa liberté d’être lui-même représentaient exactement ce que je cherchais, en quelque sorte un portrait, une description de ma personnalité. Il fallait que je l’immortalise dans le bronze.
Oui, il existe des versions plus petites en bronze et en porcelaine de Limoges :
- Une édition en bronze de 35 cm, limitée à 8 exemplaires + 2 EA, numérotés et signés.
- Une édition en bronze de 20 cm, limitée à 25 exemplaires numérotés et signés (épuisée).
- Une édition en bronze de 15 cm, limitée à 50 exemplaires numérotés et signés.
- Une édition en porcelaine de Limoges (biscuit) de 25 cm, limitée à 25 exemplaires numérotés et signés.
L’œuvre a-t-elle été commandée ? Si oui, par qui ?
Pas du tout, je l’ai produite sans aide extérieure.
Quelle est l’émotion que vous espérez susciter avec KingKongBalls XXL ?
Mon objectif est de rendre les gens heureux. En observant cette œuvre, j’espère qu’elle évoque un sentiment de liberté, celui d’avoir eu l’audace de la créer pour provoquer un sourire, puis un rire. En somme, offrir un moment de bonheur à travers cette expression de liberté.
Comment les spectateurs ont-ils réagi dans le monde entier, en fonction de leur origine culturelle ?
La surprise pendant 5 secondes, entraînant la réflexion, puis un sourire, puis le rire : c’est une œuvre provocante qui génère des sourires. En tout cas, elle ne laisse personne indifférent.
Quand vous regardez les centaines de photos publiées sur les réseaux, vous vous apercevez qu’il n’y a pas de barrière culturelle. Toutes les religions et ethnies ont la même réaction, dont le sourire est le roi.
Pourriez-vous décrire votre processus de création pour cette pièce en particulier ? Comment a-t-elle évolué depuis sa conception jusqu’à sa réalisation ? Est-elle réalisée à partir d’un moulage en cire ?
Pour KingKongBalls XXL, le processus de création a évolué rapidement et organiquement, de l’idée initiale à la réalisation finale. Tout a commencé avec une photo d’un bonobo au zoo de San Diego qui a servi d’inspiration pour la posture et l’attitude de l’animal. À partir de cette image, j’ai d’abord réalisé une petite figurine de 20 cm en argile afin de visualiser l’œuvre en trois dimensions. Cette étape préliminaire m’a permis de mieux comprendre les volumes et les proportions.
Ensuite, j’ai collaboré avec un modéliste qui a pris le relais en créant la version grandeur nature en argile. Cette étape est cruciale, car elle permet de traduire fidèlement les détails et l’expression que je souhaitais donner à la sculpture. Une fois ce modèle terminé, un moule en silicone a été réalisé, permettant de capturer précisément toutes les caractéristiques du modèle en argile.
L’étape suivante consistait à utiliser ce moule pour créer un modèle en cire, une méthode classique pour les fonderies. Ce modèle en cire a ensuite servi pour la coulée en bronze d’un seul bloc pour l’œuvre de 1,70 mètre, une technique qui assure une solidité et une précision dans les détails.
Ce processus allie à la fois une approche traditionnelle de la sculpture, avec le moulage et la cire perdue, tout en intégrant une vision contemporaine, notamment à travers l’utilisation de la patine bleue, qui confère à l’œuvre son caractère unique et surprenant. Ce choix symbolique de couleur renforce le lien entre nature, liberté et audace, des thèmes récurrents dans mon travail. La sculpture a évolué de façon significative depuis sa conception initiale, de l’idée simple basée sur une photo à une œuvre monumentale XXL, 2 ans après avoir exposé l’œuvre originale à Venise en 2017.
Quel est le coût des matériaux utilisés pour fabriquer KingKongBalls XXL ?
En 2019, les coûts s’élevaient déjà à 150 000 €.
Avez-vous envisagé de ne pas polir les couilles et d’attendre que les gens les frottent pour avoir de la chance, comme c’est le cas pour certaines statues dans le monde qui se sont ternies et polies au fil du temps parce que le public les a touchées ?
Non, dès le début de la réalisation de cette œuvre, je savais que les couilles seraient polies. Une de ces statues dont vous semblez faire référence, celle de Victor Noir, journaliste, enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris, attire l’attention pour une raison particulière. La protubérance de son pantalon est souvent frottée, car une croyance veut que cela favorise la fertilité ou apporte chance en amour.
Qu’est-ce qui vous a fait choisir la couleur bleue pour KingKongBalls XXL ?
La patine bleue choisie pour KingKongBalls XXL s’inscrit dans une démarche symbolique forte, rappelant l’approche de James Cameron dans Avatar. Le bleu, couleur de spiritualité et de lien avec la nature, permet d’universaliser l’œuvre, la rendant accessible à tous sans distinction. Comme pour les Na’vi, ce bleu évoque la paix, l’harmonie avec l’environnement, et transcende les différences humaines, invitant chaque spectateur à se connecter avec cette figure primordiale et la nature qui l’entoure. Ce choix esthétique crée aussi un contraste visuel frappant qui capte l’attention et suscite la réflexion.
Vous avez baptisé votre statue KingKongBalls XXL, mais il s’agit d’un bonobo et non d’un gorille comme King Kong. Est-ce pour des raisons de droits d’auteur ?
Dans le titre de mon œuvre, « King Kong » représente la grosseur hors normes des couilles, d’où « KingKongBalls ». « XXL », c’est simplement la taille de la sculpture par rapport à l’œuvre originale présentée à Venise en marge de la Biennale en 2017.
Mon œuvre représente un bonobo. Chez les bonobos, la sexualité n’est pas seulement un acte de reproduction, mais aussi un moyen de renforcer les liens sociaux, réduire les tensions et résoudre des conflits. Les interactions sexuelles fréquentes nécessitent une plus grande capacité reproductive, ce qui se traduit par des attributs sexuels relativement volumineux. Je n’ai rien exagéré, les attributs sont réellement de cette taille.
KingKongBalls XXL est une structure massive en termes de taille et de poids. Quelles sont les exigences logistiques pour la transporter à travers le monde et l’installer ?
Les exigences logistiques sont classiques : transport par containers et un camion plateau double essieux avec une grue pour l’installation, ou un grand chariot élévateur.
Vous évoquez une « certaine idée de la liberté » dans votre travail. Comment interprétez-vous la liberté à travers votre art ?
À travers cette sculpture, j’interprète ma liberté comme une expression audacieuse de l’indépendance et du refus des conventions. La posture décontractée et détendue du bonobo, dans une échelle monumentale et avec une couleur non conventionnelle comme le bleu, symbolise un rejet des attentes rigides, une manière de revendiquer un espace où l’on peut être soi-même, libre des jugements. La liberté, dans cette œuvre, se traduit par la capacité d’oser, de jouer avec les codes tout en invitant à l’interaction et à la réflexion.
Le choix du bonobo, un animal connu pour son comportement social pacifique et sa liberté sexuelle, renforce cette idée d’une liberté naturelle, presque instinctive, qui transcende les contraintes sociales imposées par les normes humaines. Le fait que les visiteurs interagissent physiquement avec l’œuvre, qu’ils grimpent dessus ou touchent des parties spécifiques, participe également à cette notion de liberté partagée, où l’art devient un espace de jeu, d’exploration et de spontanéité.
Ainsi, à travers ce travail, je vois la liberté comme un espace de création sans limites, une invitation à remettre en question les règles et à embrasser l’ironie, l’humour et l’audace comme des outils pour affirmer son individualité.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre l’intention et la spontanéité dans votre pratique artistique ?
Dans ma pratique artistique, l’équilibre entre l’intention et la spontanéité se trouve dans le dialogue constant entre la vision initiale de l’œuvre et l’ouverture à l’imprévu. Chaque œuvre naît d’une idée forte, souvent liée à des thématiques comme la liberté, le conformisme ou la sexualité, ce qui guide mon intention dès le début du processus créatif. Cependant, je laisse toujours une place importante à la spontanéité, tant dans la phase de réalisation que dans l’interaction avec le public.
L’intention me permet de structurer le projet, de poser les bases conceptuelles et esthétiques, mais la spontanéité s’invite souvent sous forme d’accidents heureux ou d’adaptations inattendues. Par exemple, avec KingKongBalls XXL, si l’idée initiale était de provoquer une réflexion sur les normes sociétales avec humour et ironie, c’est l’interaction du public, en particulier celle des enfants, qui a ajouté une nouvelle dimension à l’œuvre, un jeu innocent que je n’avais pas totalement anticipé.
Je pense que cet équilibre réside dans la capacité à accepter que l’œuvre vive et évolue en dehors de l’idée que je m’en faisais initialement, tout en restant fidèle à son intention première. Il s’agit donc d’une cohabitation entre la rigueur de l’intention et la fluidité de l’improvisation, où l’œuvre finale peut devenir bien plus riche et complexe que ce qui avait été imaginé.
Votre travail aborde souvent les thèmes de la nature et de l’humanité. Comment voyez-vous l’évolution de cette relation dans l’art contemporain ?
Dans mon travail, la relation entre la nature et l’humanité est au cœur de mon exploration artistique, et je constate que cette relation évolue constamment, notamment dans l’art contemporain. À travers des œuvres comme KingKongBalls XXL, je cherche à capturer cette tension entre l’instinct naturel et les constructions sociales humaines. L’utilisation d’éléments issus de la nature, comme l’animalité représentée par le bonobo ou le gorille, permet de confronter les spectateurs à leurs propres racines biologiques tout en interrogeant les codes culturels et sociaux modernes.
Dans l’art contemporain, cette relation entre nature et humanité prend de plus en plus d’importance, surtout face aux enjeux environnementaux actuels. Les artistes jouent un rôle crucial en abordant ces thèmes pour montrer non seulement la fragilité de la nature face à l’activité humaine, mais aussi pour rappeler l’interdépendance profonde qui existe entre les deux. Mon approche cherche à déstabiliser le regard traditionnel, souvent en utilisant l’humour et l’ironie pour révéler ces connexions fondamentales, parfois occultées par les conventions sociales.
Ce que je trouve particulièrement fascinant, c’est la manière dont la nature, dans l’art contemporain, est souvent utilisée non seulement comme un sujet esthétique, mais aussi comme un vecteur de réflexion critique sur notre rapport au monde. Je crois que cette dynamique va continuer à évoluer et se renforcer dans les années à venir, en résonance avec les préoccupations environnementales croissantes et la quête de reconnecter l’humain à ses origines naturelles.
Quelles sont les questions sociales ou culturelles que vous avez le plus à cœur d’aborder à travers votre art ?
Cette œuvre défie le conformisme social, notamment les idées rigides sur la représentation « correcte » dans l’art public. En introduisant de l’humour dans ce qui pourrait être perçu comme une provocation, je cherche à montrer que les normes entourant la décence sont souvent absurdes et imposées sans raison valable. Ce sont les réactions des adultes, souvent choqués ou mal à l’aise, qui illustrent parfaitement cette étroitesse d’esprit, alors que les enfants, eux, interagissent librement avec la sculpture sans rien y voir de déplacé, simplement en s’amusant.
Enfin, KingKongBalls XXL soulève la question de la liberté d’expression artistique. À travers cette œuvre, je revendique le droit de créer sans être limité par les attentes sociales ou les conventions esthétiques traditionnelles. L’art devient alors un espace où l’on peut, sans censure, exprimer des idées et inviter le public à se confronter à ses propres préjugés, ses gênes ou ses rires.
Quel rôle jouent l’humour et l’ironie dans votre travail, en particulier dans le contexte de cette sculpture ?
Dans le contexte de cette sculpture, l’humour et l’ironie jouent un rôle central en engageant le public de manière accessible et ludique. En choisissant de représenter un bonobo dans une posture décontractée, souvent associée à la relaxation humaine, il y a un effet humoristique qui capte immédiatement l’attention. Cette figure d’un singe, traditionnellement perçu comme un miroir de l’humanité, renforce l’effet comique par la posture anthropomorphique.
L’ironie se manifeste par le contraste entre l’apparence imposante de l’œuvre et l’attitude nonchalante du bonobo. Cela interpelle les spectateurs sur les comportements humains que nous projetons sur les animaux, soulignant subtilement des thèmes liés à la nature, à la sexualité et à la société, tout en restant dans une esthétique légère et humoristique. Le fait que les visiteurs interagissent spontanément avec la sculpture, notamment en touchant certaines parties polies, accentue cette dynamique humoristique et interactive, créant un dialogue direct entre l’œuvre et le public.
L’humour devient ici un outil pour désamorcer la gravité que l’on pourrait attendre d’une telle œuvre monumentale, tout en invitant à une réflexion plus profonde sur la nature humaine.
Pourquoi devrait-on aller voir KingKongBalls XXL à Sculpture by the Sea, Bondi ?
Juste pour sourire et rire, et surtout pour observer la réaction des gens autour de vous en partageant un moment de bonne humeur. Cette sculpture monumentale est à la fois surprenante, ludique et provocatrice, offrant une réflexion humoristique sur des sujets sérieux comme le conformisme et la liberté. Vous verrez également comment le bouche-à-oreille s’emparera de cette œuvre, captivant l’attention jusqu’au, et bien au-delà, du 4 novembre.
En visitant, vous participez à une expérience collective où l’art devient un point de rencontre et de conversation, déclenchant des sourires et des discussions.
Vous souhaitez ajouter quelque chose ?
Non, j’en ai déjà beaucoup dit, vous ne pensez pas ?
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Nous remercions Denis Defrancesco pour cet entretien. Vous pouvez voir KingKongBalls XXL au Sculpture by the Sea jusqu’au 4 novembre.
Pour connaitre plus sur Denis Defrancesco, consultez son site web par ici
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