Qui a tué mon père est une pièce de théâtre incontournable qui dénonce la masculinité et la politique au Festival d’Adélaïde

Qui a tué mon père
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Le public du festival d’Adélaïde a eu droit à une rare représentation d’Édouard Louis lui-même, interprétant Qui a tué mon père (Who killed my father) ce week-end au Dunstan Playhouse. Tout comme le livre du même nom, dont la pièce est adaptée, a été salué, cette production théâtrale conjointe de l’auteur et interprète Édouard Louis, du metteur en scène Thomas Ostermeier, de la Schaubühne Berlin et du Théâtre de la Ville Paris devrait l’être tout autant.

Qui a tué mon père

Edouard Louis n’a que 31 ans et pourtant il a déjà publié pas moins de 5 livres. Son premier, En finir avec Eddy Bellegeulle, a été publié en 2014 alors qu’il n’avait que 21 ans. Son troisième roman, Qui a tué mon père, a été publié en mai 2018, alors qu’Edouard Louis n’avait que 25 ans. Il a depuis été traduit en plusieurs langues.

 

Edouard Louis a interprété pour la première fois Qui a tué mon père à New York en mars 2022 ; il s’agissait également de ses débuts en tant qu’interprète professionnel. Edouard Louis semble à l’aise dans ce one man show, peut-être parce qu’il y a travaillé si dur, ou peut-être parce que ce sont littéralement ses propres mots et sa propre histoire que nous entendons. Ayant relu le roman récemment, je me souviens avoir lu des passages exactement comme ils ont été prononcés. Après tout, le roman était si bien écrit et si accessible au public qu’il n’était pas nécessaire pour Edouard Louis de réécrire ces mots pour la scène.

 

Pour ceux qui ne connaissent pas le livre, Qui a tué mon père raconte les souvenirs de l’enfance d’Edouard Louis dans le petit village d’Hallencourt, dans une famille de la classe ouvrière avec un père dont Edouard voulait à la fois être absent – il nous raconte qu’il s’approchait de la maison après l’école en espérant que la voiture de son père n’était pas dans l’allée – mais par lequel il voulait aussi désespérément être vu et auquel il voulait s’attacher.

 

Son père avait des idéaux masculins bien ancrés, lui disant que les garçons et les hommes ne pleurent pas et que vouloir Titanic (dans le livre) ou Bodyguard (tel qu’il a été adapté pour la version scénique du Festival d’Adélaïde en raison de problèmes de licence) était pour les filles, alors que c’est tout ce qu’il voulait pour son huitième anniversaire. En voyant les yeux de son père s’écarquiller lorsqu’il regardait l’opéra, Edouard lui dit : « Je voulais te dire que je pleurais aussi, beaucoup, souvent ». Edouard Louis suppose que son père était destiné à une vie de pauvreté en raison de ses idéaux de masculinité, qui le poussaient à quitter l’école sans vouloir se soumettre aux études et aux règles. La masculinité a condamné son père à la pauvreté et à l’absence d’argent.

 

Edouard Louis parle de Noël, quand son père dépensait de l’argent qu’ils ne pouvaient pas se permettre. Purement pour avoir tous les plats qu’il imaginait que les familles plus aisées avaient sur la table à manger. « Plus on était pauvre, plus on dépensait pour Noël», par peur de ne pas être comme les autres.

 

Il parle avec force de la jeunesse volée de son père. Il y a la photo qu’il a trouvée de son père, que le public peut voir, peut-être dans la vingtaine, habillé en fille comme une majorette. Le plus révélateur, c’est qu’il avait l’air heureux. Il est choqué d’apprendre que son père a déjà dansé, et même si son père lui dit de ne pas croire tout ce que lui dit sa mère, les joues rougissantes de son père le trahissent.

Edouard Louis se rend compte que la violence n’est pas seulement due à la violence, mais que dans le cas de sa famille, la violence les a sauvés de la violence. Le père de son père était très violent et le père d’Edouard a dit qu’il ne lèverait jamais la main sur ses enfants. Il s’y tient, même lorsque la violence s’exerce sur lui au sein de la cellule familiale.

 

Le spectacle Qui a tué mon père est tout à fait accessible même si on n’a pas lu le livre avant, et peut-être qu’en ne le lisant pas avant on n’a pas non plus de spoilers. Cela dit, c’était un peu doux-amer d’entendre Barbie Girl d’Aqua commencer à jouer parce que je savais à quelle scène elle mènerait. Cette chanson joyeuse et pétillante, qui a fait rire certains spectateurs, n’a pas rendu Edouard Louis aussi heureux. Au contraire, il est rongé par la culpabilité et craint d’avoir fait honte à son père devant ses amis en l’interprétant avec d’autres enfants, mais avec lui dans le rôle principal, la fille chanteuse.

 

Le décor, conçu par la scénographe Nina Wetzel, est assez simple mais très efficace. Dans le coin arrière droit se trouvent une petite table et trois chaises, sur lesquelles est posé un laptop, sur lequel Edouard se concentre alors que le public remplit la Dunstan Playhouse et dans la scène d’ouverture. Une lampe et une veste sont également posées sur l’une des chaises. Sur le devant de la scène, au centre, se trouve un pied de micro. Sur le devant de la scène, à gauche, une chaise longue en cuir est posée en diagonale sur laquelle se trouve un foulard. Edouard Louis utilise pleinement l’espace tout au long de Qui a tué mon père, que ce soit assis devant l’ordinateur portable, en mimant une chanson derrière le pied de micro ou assis sur une chaise en parlant à son père dans le fauteuil en cuir vide. Au fond de la scène, un écran diffuse des images sombres, réalisées par les vidéastes Sébastien Dupouey et Marie Sanchez, de routes brumeuses et de diverses images de la campagne grise.

Qui a tué mon père Image: Roy Van Der Vegt
Image: Roy Van Der Vegt

Enfant des années 90, Qui a tué mon père est saupoudré de pop des années 90, notamment Barbie Girl d’Aqua et I will always love you de Whtiney Houston, extrait de The Bodyguard. La chanson Almost Was Good Enough (2005) de Magnolia Electric Co. est jouée à haute voix avec le refrain puissant et révélateur « Almost no one makes it out» (Presque personne ne s’en sort). Qui a tué mon père comprend également des compositions instrumentales parfois troublantes du compositeur Sylvain Jacques, qui ajoutent à l’intensité ou à la tristesse des propos d’Edouard Louis.

 

Qui a tué mon père est une déclaration et non une question. Il n’y a pas de point d’interrogation dans le titre. Le père d’Edouard Louis est toujours en vie mais sa santé a été écrasée à plusieurs reprises. Edouard Louis accuse quatre gouvernements français successifs d’être responsables de la mort de son père. Dans une scène puissante, où il nomme les responsables et la partie de son père qu’ils ont tuée (intestins, poumons, etc.), Edouard Louis accroche les photos des présidents et ministres responsables ainsi qu’une représentation de la partie de son père qu’ils ont prise et lance un pétard – plus pour le son que pour l’image.

 

Il ne faut pas croire que la société française est différente de la nôtre. L’ancien gouvernement australien a causé de nombreux décès parmi les siens par le biais du Robodebt et d’un système qui n’aide pas les gens à trouver du travail, mais les oblige à postuler pour des emplois qu’ils sont incapables d’occuper. L’ancien gouvernement australien était sur le point de faire la même chose que le président Macron avec sa troisième phase de réduction des impôts, qui aurait fait payer beaucoup moins d’impôts aux Australiens les plus riches, tandis que les Australiens les plus pauvres n’auraient rien reçu.

 

Qui a tué mon père d’Edouard Louis est un théâtre puissant et un réquisitoire contre la masculinité toxique et les décisions politiques qui affectent les plus démunis de la société, tandis que les riches s’enrichissent. Si vous avez l’occasion de voir ce spectacle important, nous vous le recommandons vivement.

5 CROISSANTS

Matilda Marseillaise était l’invitée du Festival d’Adélaïde.

P.S. Edouard Louis sera en conversation à Sydney la semaine prochaine. Détails par ici

P.P.S. Si vous souhaitez lire Qui a tué mon père d’Edouard Louis, vous pouvez l’acheter en anglais par ce lien et en français par ici.

 

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