Maestro Auguin est actuellement en Australie ou il répète avec l’orchestre pour la production de Les anneaux de Nibelung de la compagnie Opera Australia. Il s’agit d’un cycle de 4 opéras allemands du compositeur Wagner qui durent 15 heures en tout !
On lui parle longuement de la musique de Wagner et cette production, du rôle du conducteur et son rapport avec les compositeurs et les musiciens de l’orchestre ce qu’il dit est comme « jouer une sorte de ping-pong invisible avec 30 personnes en même temps».
En discutant avec Maestro Auguin, on apprend beaucoup sur la philosophie et l’histoire de l’opéra de Wagner. Juste comme cet opéra a quatre parties, notre l’interview a trois parties donc nous publions l’interview à travers trois semaines.
Maestro Auguin, on trouve très peu sur vous en faisant des recherches. Je ne sais pas si c’est intentionnel ou pas.
Non. Je pense que dans ma profession c’est le résultat qui compte et c’est ce qui fait toujours qu’on avance dans la vie, dans la profession. Le reste ce sont des choses qui sont périphériques et qui en réalité ne sont pas très estimés des musiciens et d’une manière générale, chef d’orchestre n’est pas une vedette de la chanson. Voilà, c’est tout.
Non, bien sûr, mais quand même, je trouve que c’est intéressant de savoir d’où quelqu’un est venu comment ils ont décidé de faire ce parcours et tout ça? Comment est-ce que vous êtes devenu chef d’orchestre? Est-ce que vous avez joué un instrument de musique d’abord? Et vous avez décidé que pour faire, vous préférerez plutôt faire ce métier?
C’est à dire que la motivation qui m’a amené à commencer à étudier la musique, c’est que j’ai adoré la musique. Et comme il n’y avait personne autour de moi pour me dire attention, ce compositeur-là, cette musique c’est compliqué tout ça, j’ai fait connaissance avec des musiques d’écrites au XVIIIᵉ siècle, des musiques qui étaient qui sont considérées comme de la musique moderne pour le XXᵉ siècle et j’ai eu un appétit dévorant, une passion dans le premier sens du terme. C’est à dire que je voulais absorber toute cette toute cette beauté, je voulais la comprendre.
Le chef d’orchestre, en réalité, c’est le prolongement d’un apprentissage quand on veut le faire, l’apprentissage pour comprendre la musique de l’intérieur. C’est à dire que l’instrument de musique c’est une chose, bien sûr, il faut le faire que ce soit le piano, le violon, le cor, la trompette, la clarinette, tout ce que vous voulez, l’orgue qui est un monde en lui-même, l’orgue. Mais vous apprenez à voir la manière dont le compositeur a agencé les notes. C’était Mozart qui disait « Je, j’écris ensemble, j’écris les notes qui s’aiment.» Je trouve ça très beau. C’était sa manière de décrire ça. Et de quelle manière est-ce que Mozart voyait que deux notes s’aimaient? Pourquoi est-ce qu’il fallait écrire ça et ça? Et donc j’ai voulu comprendre la musique de l’intérieur, que ce soit euh Jean-Sébastien Bach, Haydn, Mozart, Schubert, Schumann, Wagner, Schoenberg, Bergues, Webern. Par exemple, les compositeurs de la deuxième école viennoise.
En réalité, même si on les met toujours dans le même paquet, Alban Berg, alors Arnold Schoenberg, Anton Webern sont des gens tout à fait différents. Schoenberg, c’était une sorte de Beethoven du XXᵉ siècle. Berg était un compositeur romantique et Webern, c’était en réalité un compositeur classique dans sa manière de voir les choses.
Et donc c’est de voir comment est-ce que c’est fait, mais pourquoi ça a été fait comme ça. Et le plus vous avancez comme ça, le plus vous voulez le mettre en œuvre, ce que vous avez appris.
Alors d’abord, j’aime partager ce qui me rend heureux. Ça, c’est une constante dans ma vie et le fait d’être avec les musiciens, on communique avec eux de la même manière, on les accompagne pas à pas. Alors bien sûr, très souvent, ils connaissent le texte très bien, mais de leur point de vue, moi je suis là pour leur donner un éclairage en disant à tel musicien qui joue dans tel groupe que oui, « vous avez ça à jouer, mais il y a ça en plus. Donc regardez c’est là ces aspects qui sont là.»
C’était un mot que Carlo Maria Giulini avait dit à l’Orchestre de Paris quand il avait dirigé La mer là-bas dans les années 70-80. Il a dit « Vous connaissez La mer de Debussy mieux que moi, peut être.» Et donc il avait mis en exergue des éléments qui peut être, avec le temps ou juste pour des raisons tout à fait pratiques, n’avaient été pas suffisamment cernés avec suffisamment de précision et d’amour par les musiciens.
Donc en réalité, je veux construire, je veux réaliser le matériau dont j’ai acquis la richesse à force de l’apprendre. Voilà. Et c’est pour moi, c’est ma motivation principale.
Donc c’est vraiment un partage de ce que vous avez appris.
Tout à fait. C’est un formidable enrichissement, Je dirais mon professeur, c’est toujours le compositeur. D’être toujours en contact avec parce que le compositeur vous parle. Pourquoi est-ce qu’il écrit telle note, telle ou telle chose? Et aussi les indications de tempo, tout ça, Un compositeur passe sa vie à créer de la différence. Ils veulent créer de la différence.
Et donc moi, en tant que chef d’orchestre, j’arriverai et je mettrai le fer à repasser là-dessus, je dirais oui, tout ça, c’est pareil, non. Et il y a aussi des private jokes que fait quelqu’un comme Richard Strauss par exemple. Il est spécialiste de ça. Il a des musiciens qui ne sont pas du tout habitués à jouer un solo, il va mettre une chose que le chef d’orchestre va détecter en disant ah oui, il a écrit ça juste pour avoir une certaine un son avec plus de timidité de la part du troisième hautbois qui ne joue jamais un solo, par rapport au premier.
Tandis que Wagner va donner des solos absolument à tout le monde, à la première, mais aussi à la deuxième trompette, à la troisième trompette, au troisième trombone, au quatrième trombone, au troisième hautbois.
C’est la première fois ce moment dans l’histoire de la musique. Donc on voit la manière dont le compositeur [fait les choses et] on a l’impression de les connaître. Ces gens-là vous parlent Schumann par la musique. Par tout le temps j’ai investi pour essayer de comprendre du mieux que je pouvais avec, avec dans la mesure de mes moyens limités. Eh bien, j’ai l’impression de connaître Schumann. J’ai plus de choses en commun, je partage plus de choses avec un compositeur mort depuis longtemps ou avec un musicien que je ne verrais ni avant la répétition ni après que je vous vois quand je le croise dans le couloir, je partage plus de choses avec les musiciens qu’avec même des gens que je côtoie d’une manière différente tous les jours. On a plus de choses en commun, c’est ça qui est beau.
La musique est éphémère, mais le souvenir de la musique reste pour toujours. J’ai vu un musicien il y a deux ans. J’étais retourné diriger en Allemagne. Je l’avais pas vu depuis 25 ans. Un musicien m’a dit «Ah, vous vous souvenez à l’époque, quand vous avez dirigé telle symphonie, tel passage?» Il m’a dit « c’était en février 1992 et vous vous en souvenez ?» Donc, toutes ces choses-là, il y a une sorte de qualité émergente, c’est quelque chose qui apparaît, qui est plus que la somme des éléments en présence. Ces choses-là, elles restent pour toujours. Il y a des de très nombreux musiciens. Vous lui posez une question et se souviendront de telle symphonie, tel jour avec tel chef d’orchestre. Il y a quelque chose de spécial. Et ça reste pour toujours, pour toujours.
C’est très touchant.
C’est très humain, très humain. Pourquoi est-ce que dans notre enfance, on se souvient de telle phrase, telle avec tous les millions de phrases, de mots qu’on a entendues dans notre enfance, pourquoi il y a tel passage, telle chose qui reste? Et c’est pour ça que la musique est très liée à la mémoire. Quand on arrête à la dernière note, on n’a pas l’impression que quelque chose est fini. On a l’impression que quelque chose est accompli, C’est un accomplissement, un enrichissement. C’est quelque chose qu’on emporte avec soi.
C’est très beau. Vous avez peut-être une carrière en tant que philosophe aussi.
Non, non, pas du tout. Mais je m’interesse a beaucoup de choses.
Et vous avez beaucoup d’expérience en opéra, mais aussi dans la musique symphonique.
Oui, bien sûr. C’est à dire que tout ça, c’est un tout, n’est-ce pas ? Il faut savoir d’abord ce que c’est que la direction d’orchestre. En réalité, on est le représentant, l’incarnation du compositeur devant l’orchestre. Pourquoi? Parce qu’on a absorbé l’intégralité de ce que le compositeur a écrit dans une œuvre et qu’on est allé aussi au-delà des notes.
Et donc on est là pour coordonner l’effort des musiciens quand ils jouent. On est là pour les guider aussi de manière esthétique. On est aussi un coach, tout simplement pour les entraîner à un marathon que même une symphonie très courte, c’est quelque chose de qu’il faut avoir organisé mentalement, physiquement, doser l’effort, répartir les difficultés, construire des ponts musicalement.
Donc on a tous ces rôles et en plus, l’avantage qu’on a par rapport à un metteur en scène, c’est qu’on est aussi dans le moment où on apporte l’œuvre au public, on fait partie, on est un acteur en même temps qu’un metteur en scène, un coach, un préparateur.
Et aussi, disons que [le chef d’orchestre est] la personne qui a passé le plus de temps à comprendre ce que voulait le compositeur, de la même manière que nous utilisons tous les mêmes mots, bien sûr, nous ne mettons pas tous le même sens derrière les mêmes mots, derrière les mêmes sensations. Quelque chose qui est bleu pour moi n’est peut-être pas bleu pour une autre personne. On cite aussi bien sûr dans l’antiquité que les Grecs anciens n’avaient pas de mot pour dire bleu et qu’ils trouvaient le la mer du couleur du vin, ce qui pour nous paraît étrange. Et il y a 16 manières de dire l’aube naissante en provençal.
Donc, c’est un travail philologique et une recherche qui a vraiment à faire entre. On doit faire le lien entre la vision poétique, l’idée qu’a le compositeur, ensuite la manière dont il a mis noir sur blanc et ensuite c’est à nous de retrouver, de créer ce qu’il a voulu faire. C’est un peu comme si le conservateur du musée du Louvre devait repeindre tous les matins la Joconde pour l’ouverture des portes à 10 h le matin.
Même s’il y a des parties de l’orchestre qui jouent à un moment et d’autres parties qui jouent à un autre. Vous êtes là, vous devez être attentif pendant le tout.
Il y a une chose intéressante si c’est à propos du tonus qu’il faut avoir. Même si le mouvement est visuellement identique, si le chef d’orchestre – je parle de moi – si intérieurement, on essaie de se reposer, de se déconnecter pendant quatre mesures instantanément, le son de l’orchestre disparaît. C’est comme un soufflé qui d’un seul coup. Voilà, il n’y a plus rien. Les musiciens sentent qu’on est toujours dans la tension positive, qu’on est toujours dans l’anticipation, qu’on est toujours dans ce qu’on fait maintenant et dans ce qu’on va faire ensuite.
Je suis toujours, même pour un instrument, je suis entièrement à 100 % ce que les dans l’anglo américain, ce qu’on appelle pour les sportifs « to be in the zone ». On est toujours, tout le temps dans l’action, dans la concentration, dans la chose. Au moment où on crée cette chose parce qu’on l’a créée – bien sûr, on a les notes, mais derrière chaque note, il y a une personne humaine qui la joue. Tout ce que vous entendez, c’est il y a quelqu’un qui joue tout le temps, tout le temps, tout le temps, tout le temps. Et bien, c’est à moi d’être toujours avec cette personne, que ce soit une ou que ce soit 120 musiciens et 80 choristes, et bien, je suis toujours avec eux.
Le musicien est constamment en connexion avec moi et avec le texte. C’est une sorte de dialogue muet entre le musicien et moi. Il me donne quelque chose, j’en fais quelque chose, je le lui renvoie, il me le renvoie. C’est pour ce qui est de la cohésion, c’est la chose la plus basique, c’est comme un GPS on va deux fois à gauche, une fois à droite par exemple.
Ensuite, c’est vraiment comme jouer une sorte de ping-pong invisible avec 30 personnes en même temps, ou c’est à dire que je donne une information mais qui n’est pas une sorte d’information au forfait. C’est toujours une information qui est à la destination de tout le monde. Chaque personne, le premier cor, la première trompette, là, c’est les violons. Tout ça c’est toujours pour tout le monde en même temps.
J’écoute l’orchestre. Ecoutez l’orchestre, c’est ma manière d’absorber l’information qu’ils m’envoient. J’envoie une information visuelle, ils me renvoient une information auditive et selon la manière dont cette information auditive m’arrive, c’est un reflet de l’information que j’ai donnée. Donc je vois la manière dont l’information a été comprise par le musicien, la manière dont il l’a travaillée, dont il l’a digérée, dont il l’a transmise dans le texte, dans sa manière d’écrire, de jouer. Donc j’envoie une information visuelle. Ils me renvoient une information auditive et selon la manière dont je vois qu’il l’a comprise, et bien soit je laisse aller, soit j’ajuste. Je fais un peu plus vite, un peu plus lent, un peu plus tôt, un peu plus tard, un peu plus fort, un peu moins fort, expressif ou plutôt doucement, ou plutôt plus long, ou plus court. Donc c’est vraiment à chaque fois une sorte de jeu de ping-pong, une partie de ping-pong avec 30 ou 50 personnes.
Et en même temps, une fois qu’on a dépassé ce stade-là, on est dans l’œuvre. C’est à dire qu’on est au moment où on crée l’œuvre pour les musiciens, tant que pour le public. En réalité, c’est quelque chose qui est auto-créé au moment où on le fait, Oui, on crée l’œuvre, le musicien crée l’œuvre au moment où on la joue.
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INFOS CLÉS POUR L’ANNEAU DU NIBELUNG AVEC MAESTRO AUGUIN
QUOI: L’Anneau de Nibelung (The Ring Cycle) avec Maestro Auguin comme chef d’orchestre
OÙ : Le Lyric Theatre, QPAC, BRISBANE
QUAND : Vous avez le choix de trois cycles différents pour cette série de quatre opéras.
Cycle 1
1er déc. 2023 19h, 3 déc. 2023 13h, 5 déc. 2023 17h, 7 déc. 2023 16h
Cycle 2
8 déc. 2023 19h, 10 déc. 2023 17h, 12 déc. 2023 17h, 14 déc. 2023 16h
Cycle 3
15 déc. 2023 19h, 17 déc. 2023 17h, 19 déc. 2023 17h, 21 déc. 2023 13h
COMMENT : L’anneau de Nibelung est un événement spécial, vendu soit comme une série de quatre opéras, soit comme des opéras individuels.
Vous pouvez acheter des billets pour les quatre opéras en tant que cycle complet, avec le même siège pour chaque opéra. Ces représentations ont été reprogrammées par rapport à l’année dernière, de sorte que de nombreuses places ont déjà été achetées. La meilleure disponibilité se trouve dans le cycle 3.
Les acheteurs de billets auront désormais la possibilité de composer leur propre formule variable, pour ceux qui souhaitent voir plus d’une production, et de mélanger les dates au cours de la saison de trois semaines.
Vous pouvez acheter des billets en cliquant sur ce lien
COMBIEN : Les billets sont disponibles pour des cycles complets de quatre opéras (ou pour des opéras individuels). Il n’y a pas de tarif réduit. Les prix des billets pour le cycle complet sont les suivants :
- Premium 2360 $
- Réserve A 1960 $
- Réserve B 1200 $
- Réserve C 520 $
Les billets pour les différents opéras de l’Anneau de Nibelung (billets individuels) commencent à 165 $ et les réservations de deux représentations ou plus donnent droit à un tarif réduit. Les prix des billets individuels de réserve sont les suivants (avant toute réduction pour l’achat de billets pour plusieurs productions) :
- Premium 625 $
- Réserve A 525 $
- Réserve B 335 $
- Réserve C 165 $
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Nous continuerons notre interview avec Maestro Auguin vendredi prochain, quand il nous parlera de la musique de Wagner et la production de l’Opera Australia.
Pour les évènements ayant liens vers la France et la Francophonie, consultez notre rubrique Que faire en novembre.